En Bref
Création de l'opéra
Alfredo Catalani (1854-1893) fait partie de la même génération que Puccini, Mascagni et Leoncavallo, qui succèdent au géant de l'opéra italien qu'était Verdi. Moins avant-gardiste que Puccini, et pas encore dans la veine vériste, Catalani faisait néanmoins partie des compositeurs lyriques reconnus à la fin du XIXe siècle, travaillant notamment avec les librettistes Boito et Illica, ainsi que le chef d'orchestre Arturo Toscanini dont il était très proche. Catalani avait déjà collaboré avec Illica pour La Loreleï et décide de lui confier le livret de son opéra suivant. Le contrat conclu avec son éditeur Ricordi pour la production de La Wally stipule un paiement du compositeur en trois fois, la dernière part devant être délivrée à l'issue de la soixantième représentation de l'opéra.
La création de ce cinquième et dernier opéra de Catalani à la Scala de Milan le 20 janvier 1892 est un succès. Néanmoins, les problèmes de santé de Catalani s'aggravent et la disparition prématurée du compositeur pourrait expliquer en partie la postérité relativement faible de cet opéra qui, même actuellement, n'est pas souvent représenté dans son intégralité. Aujourd'hui, La Wally reste l'opéra le plus connu de Catalani, popularisé par l'air « Ebben ? Ne andrò lontana » de Wally (acte I), inscrit dans le répertoire des plus grandes cantatrices et par ailleurs utilisé au cinéma comme dans le film Diva de Jean-Jacques Beineix (1981), ou encore Yves Saint Laurent (2014) de Jalil Lespert.
Clés d'écoute de l'opéra
Du romantisme germanique …
Pour son cinquième et dernier opéra, Catalani s'inspire du roman Die Geyer-Wally (« La Wally aux vautours ») de Wilhelmine von Hillern. Paru en 1875, ce livre appartient au genre populaire du Heimatroman, littéralement « Roman du pays natal » qui met au cœur de l'ouvrage des éléments populaires et fantastiques de la tradition germanique. Au-delà de la conception patriotique et politique que recouvre la notion de « pays natal », le terme Heimat recouvre également une dimension expressive inhérente au romantisme allemand, et désigne l'amour et la nostalgie pour un lieu idyllique perdu, notamment à travers les paysages typiques tels que la forêt, la montagne, la campagne ou les bords du Rhin.
Les thèmes de La Wally sont ainsi directement issus des topoï du romantisme germanique, grâce aux paysages variés des Alpes tyroliennes. Ceux-ci sont notamment décrits au détour des chansons du chœur des villageois et de Wally, dont la mélodie de facture populaire ainsi que l'instrumentation teintent l'opéra d'un figuralisme alpin exceptionnel dans l'opéra italien. Les cuivres de l'acte I figurant les cors de chasse, la chanson du Ländler de l'acte II (danse traditionnelle typiquement germanique), ou encore la chanson de Wally interprétée par Walter (« Un di, verso il Murzoll », acte I) sont autant d'exemples de ces touches musicales plantant le décor tyrolien. Plus encore, Catalani accorde un soin particulier aux interludes orchestraux, dont l'écriture peut rappeler certains procédés wagnériens : outre les enchaînements harmoniques, la reprise et le développement des motifs de l'air « Ebben, ne andrò lontana » tout au long de l'acte IV témoignent de cette volonté d'unifier le drame, en confirmant les présages de Wally et en rappelant sa volonté de tout sacrifier pour l'homme qu'elle aime. Un autre exemple concerne les descriptions de cette Nature, tantôt havre de paix pour celui qui la contemple et qui y cherche refuge, tantôt lieu hostile et sauvage où grondent avec violence tempêtes et avalanches.
… à l'Opéra italien
Même si l'action se situe dans des lieux divers bien que rapprochés (Hochstoff, Sölden, puis au sommet du Murzoll), l'enjeu dramatique de l'opéra repose sur les sentiments et la psychologie des personnages de ce microcosme villageois, et plus particulièrement autour du trio amoureux formé par Wally, Hagenbach et Gellner. Car malgré les influences germaniques, c'est avant tout la primauté du chant issu de la tradition du bel canto qui domine dans La Wally, en particulier du côté de l'héroïne dont les airs « Ebben, ne andrò lontana » (fin de l'acte I) et « Non è l'oro, no, che tenta » font preuve d'un lyrisme propre aux opéras italiens du XIXe siècle. L'écriture vocale de Catalani s'inscrit ainsi dans la lignée de Verdi, figure encore présente dans le domaine de l'opéra italien lorsque Catalani compose La Wally, puisque son dernier opéra, Falstaff, date de 1893 (l'année suivant la création de La Wally). Ainsi, malgré l'influence musicale wagnérienne dans le traitement harmonique et les thématiques issues du romantisme allemand, ce dernier ouvrage de Catalani s'inscrit dans la tradition de l'opéra italien, tout en partageant le souci d'unité dramatique présent à la fois dans les opéras de Verdi et dans ceux de Wagner.
La Wally est par ailleurs souvent présenté comme un opéra préfigurant le courant vériste, illustré quelques années plus tard par Puccini, Mascagni et Leoncavallo, sans être complètement conforme aux caractéristiques musicales de ce courant. Les motivations esthétiques des écrivains, puis des compositeurs véristes, se focalisent sur les passions humaines dans tout ce qu'elles ont de plus directes et franches, avec une dimension sociale mettant en avant des personnages issus de la vie quotidienne. Musicalement, l'opéra vériste se fonde sur des éléments musicaux précis typiques de la région où l'action se situe, la « couleur locale » devant ainsi inscrire l'opéra dans un univers sonore réaliste. Chez Catalani, les éléments musicaux figurant les montagnes sont avant tout une stylisation musicale provenant d'un imaginaire populaire, mais qui n'est en rien fondé sur l'exactitude des motifs que les véristes puiseront dans la vie quotidienne. Par ailleurs, les aspects sociaux dépeints dans La Wally (choix d'un époux par le père, rivalité entre la riche Wally et l'aubergiste Afra) sont à peine esquissés, les rôles de Stromminger et d'Afra étant relayés au second plan. Ce cinquième et dernier opéra de Catalani ne peut donc être tout à fait rattaché au courant vériste, mais s'inscrit dans l'ère du temps à travers les recherches musicales propres à l'opéra de la fin du XIXe siècle.