Le premier Otello de Jonas Kaufmann, sur grand écran
La proposition de mise en scène de Keith Warner est très sombre, centrée sur les protagonistes, parfois complètement isolés à l’avant-scène sous des douches lumineuses, sans élément de décor éclairé autour d’eux. Décors qui sont d’ailleurs succincts -quelques panneaux coulissants ouvrent et ferment l’espace- et complétés par très peu d’accessoires. Ce parti-pris d’épure n’est pas complètement respecté puisque les personnages évoluent dans des costumes recherchés, dont les styles plutôt anciens se mélangent (costume de cour européenne du XVIème siècle et pourpoint à crevées côtoient costumes de cuir aux coupes contemporaines et djellaba), ce qui nuit malheureusement à l’homogénéité esthétique de la production. Les chanteurs, ne pouvant s’appuyer sur des éléments de décor concrets, et sans l’aide d’une direction d’acteurs appuyée, se trouvent facilement esseulés quand le chœur ne vient pas équilibrer le plateau. Le dernier acte, concentré sur la chambre des époux ici totalement immaculée, est cependant plus attractif, le contraste entre la lumière et l’ombre étant mis en avant autant que celui du sang sur les draps blancs, souillés par celui du suicide d’Otello.
À la tête de l’Orchestre du Royal Opera House, le chef Antonio Pappano choisit également d’accentuer les contrastes de l’œuvre. Il déchaîne son orchestre durant la tempête du début de l’opéra puis au contraire resserre le drame sur l’émotion dans les moments plus doux avant d’instiller une tension musicale perceptible dès les premiers soupçons d’Otello envers sa femme. De la même manière, le Chœur du Royal Opera House fait progresser le drame avec conséquence.
Du côté des comprimarii, Simon Shibambu prête sa puissante voix et son allure altière à Montano tandis que Thomas Atkins compose un Roderigo un peu en retrait. La basse In-Sung Sim incarne Lodovico, ambassadeur de Venise avec présence et élégance et Kai Rüütel est une Emilia tendre et impliquée.
Frédéric Antoun est l’interprète de Cassio (comme en ce moment même à Paris), élégant capitaine, physiquement et vocalement. La voix est souple, maîtrisée et les aigus faciles. De plus, le chanteur offre une belle et dynamique prestation de combat à l’épée au premier acte.
Marco Vratogna incarne quant à lui un Iago très fielleux, à l’expression sournoise et grimaçante. Si l’incarnation scénique est convaincante, la voix n’est malheureusement pas exempte d’imperfections. Les graves peinent à être audibles et les aigus sont tirés, la maîtrise du souffle semble parfois incertaine. Son Credo manque ainsi d’intensité, certes le chanteur n’est pas aidé dans la direction de son émotion par quelque effet de mise en scène que ce soit. Son implication demeure louable et la composition du personnage intéressante.
L’innocente Desdémone est chantée par Maria Agresta, presque uniquement vêtue de blanc durant les quatre actes. La soprano déploie un timbre coloré au vibrato assez large, composant un personnage de femme mûre mais aussi un brin enfantin. L’émotion s’installe principalement dans le dernier acte, avec la Chanson du Saule, tendrement interprétée, puis dans les accents fervents de l’Ave Maria se finissant sur un filet de voix très maîtrisé.
Enfin, face à elle, l’incandescent Otello de Jonas Kaufmann en impose d’emblée, l’Esultate est triomphal, l’autorité certaine. Il campe un personnage bouillonnant, vocalement très sombre, dont le timbre presque rauque sied si bien au rôle. Le souffle est toujours bien mené et le phrasé sensible dans le duo d’amour du premier acte, puis ses accents se font de plus en plus fiévreux et inquiets au fur et à mesure de l’évolution du tourment de son personnage, vers une scène finale où, complètement ensanglanté, il murmure les derniers mots d’Otello sur le corps de sa défunte épouse.