Orlando Furioso au TCE : de l’ombre à la lumière
Le Théâtre des Champs-Elysées donnait ce mercredi Orlando Furioso, l’un des opéras majeurs de Vivaldi. L’opéra est structuré de manière très classique pour ce répertoire, d’un chœur introductif, suivi d’un enchaînement de récitatifs faisant avancer la narration et d’airs dévoilant le sentiment profond des personnages. Seuls un duo et un chœur (tous deux lors du mariage d’Angelica et de Medoro) viennent rompre cet enchaînement. À la complexité du livret de Grazio Braccioli s’ajoutent des travestissements donnant lieu à des situations cocasses, comme la rencontre entre les cousins Orlando (rôle d’homme chanté par une femme) et Bradamante (rôle de femme chanté par un homme) qui requiert, dans une version sans costume, un certain effort du spectateur pour ne pas perdre le fil de l’intrigue. D'ailleurs, si la soirée est annoncée comme une version concert, elle aurait pu être qualifiée de « mise en intention » : la troupe ayant présenté l’œuvre mise en scène à Tourcoing, les chanteurs interagissent sur la scène, sans partition, tandis que l’orchestre est disposé en fosse.
Jean-Claude Malgoire (© Danielle Pierre)
L’ensemble de La Grande Ecurie et la Chambre du Roy officie pour l’occasion, mené par son directeur, Jean-Claude Malgoire. Ce dernier aura buté sur la mise en place rythmique durant toute la première partie. Dès les premières notes des timbales, le problème se fait sentir. Le chœur qui entre juste après en apporte la confirmation. Les interactions entre l’orchestre et les différents solistes sont également concernées. La prestation musicale globale apparaît alors sans relief. Seul le dialogue exquis entre le personnage de Ruggiero et la flûte d’Alexis Kossenko, dont la virtuosité et le sens de la nuance éblouissent après quelques mesures mal assurées, produit un moment musical exceptionnel. Aussi soudainement que les pouvoirs d’Alcina dans le livret, ces soucis s’évaporent après l’entracte. Malgoire et son ensemble montrent alors un talent rare dans la narration musicale de l’intrigue, exaltant par exemple la scène de la folie d’Orlando. Le continuo (théorbe, viole et clavecin) participe de cette réussite en rythmant les récitatifs.
Amaya Dominguez (@ Guy Vivien)
Le rôle-titre est assuré par la mezzo-soprano Amaya Dominguez, qui déploie une énergie et une expressivité exemplaires tout au long de l’ouvrage, et en particulier dans la seconde partie, lorsque son personnage est atteint par la folie. Ses cheveux bouclés et son regard sauvage collent alors parfaitement au personnage. Sa gestique est élaborée, comme celle d’une danseuse. Vocalement, elle dispose d’un timbre serré faisant ressortir la perte de repères du personnage. Clémence Tilquin interprète quant à elle la magicienne Alcina. Très bonne comédienne, elle nuance ses vocalises et ajoute une note d’amertume à ses graves impeccablement projetés. Sa voix dégage une certaine profondeur et elle relève le défi d’une aria finale chevauchée sur un tempo très allant, malgré les difficultés.
Clémence Tilquin (© Marie-Sophie Leturcq)
Le couple unissant Angelica et Medoro est également très en vue. La première est campée par une Samantha Louis-Jean dont la grâce et le pouvoir de séduction s’expriment vocalement à travers des mélismes raffinés. Sa voix très couverte offre un timbre doux et duveteux, qui perd toutefois son confort dans les graves de la partition. Son rare vibrato, fin et rapide, prend sa source au fond de sa gorge, ce qui lui apporte un effet de profondeur. Son amant (puis époux) est interprété par le contre-ténor Victor Jiménez Diaz dont la voix très pure dans les aigus est bien définie. Pour autant, ses graves cuivrés surprennent par leur puissance et leur profondeur. Il propose des ornements à la fois complexes et judicieux, qu’il exécute avec agilité et nuance.
Samantha Louis-Jean (© DR)
Moins en vue, Yann Rolland (Bradamante) souffre d’un manque de liant et de tranchant dans ses phrasés, qui se traduit d'ailleurs par une présence scénique statique. Il dispose toutefois d’un timbre clair lui permettant d’atteindre de jolis aigus perchés. Il produit un bel effet vocal en alternant des notes en voix de tête avec d’autres, plus sourdes, émises en voix de poitrine. Jean-Michel Fumas est un Ruggiero sensible dont la voix est peu démonstrative mais qui respire la quiétude. Enfin, Nicolas Rivenq (Astolfo) dispose d’une voix suave et légère de mozartien aux graves charpentés.
La qualité d’écoute du public rend hommage aux artistes, ainsi qu’au choix de programmer cette œuvre de Vivaldi, dont l’Arsilda sera bientôt donné à Versailles (à réserver ici).