Marie-Nicole Lemieux, récital Rossini triomphal au TCE
Au-delà de leur fonction introductive dans les œuvres mêmes, les ouvertures écrites par Rossini sont de véritables pièces d’orchestre, bien développées, à l’écriture raffinée, riche et variée, permettant de mettre en valeur les qualités (ou de souligner les défauts) des orchestres qui s’y risquent. Ce fut le cas ici pour l’Orchestre National de Montpellier qui fut tour à tour confidentiel, brillant, murmurant, flamboyant, au gré des idées musicales déployées, sous la direction précise et efficace de Jean-Marie Zeitouni, jeune chef canadien, très engagé physiquement pendant l’exécution et qui révèle de véritables stratégies narratives (articulant avec finesse les épisodes successifs) et installe véritablement ces musiques dans une dramaturgie assumée. Toutes furent parfaitement envoyées (L’Italienne à Alger et Le barbier de Séville), mais celle de Guillaume Tell (ouvrant le concert) mérite des louanges particulières : après une magnifique introduction au(x) violoncelle(s), l'auditeur a été entraîné irrésistiblement dans une fête de l’oreille ! Cette ouverture, aux faux air de Pastorale, est une bénédiction pour un orchestre, avec une écriture variée, contrastée et évocatrice (tempête, cavalerie). Cet orchestre est un jouet entre les mains expertes qui le dirigent et sonne de manière remarquable, chatoyant, vif, incisif, tour à tour mélancolique ou enjoué, épousant avec gourmandise les injonctions d’un chef qui sait de quoi il parle. Le crescendo final est mené avec une maestria enthousiasmante !
Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon (© Marc Ginot )
Marie-Nicole Lemieux, est une nature ! C’est le moins que l’on puisse dire. Et une nature extravertie, débordante, exubérante, d’une santé insolente, que d’aucuns pourraient trouver border line en terme de « bon » goût, mais qui au final est absolument irrésistible tant sa générosité et la sincérité de son engagement sont manifestes tout au long de ses prestations. Une faconde et un abattage qui n’excluent nullement la profondeur et la tendresse nostalgique. On rend les armes, on se laisse emporter et on se noie avec volupté dans le torrent déchaîné de cette voix saine, bravache, large et étendue, rugissante et caressante tour à tour. C’est un déluge voluptueux auquel elle nous convie dans un programme vocal en deux parties : un Rossini héritier du passé avec des airs d’opéra seria (rôles travestis, dévolus alors à des contralti drammatico colorature, castrats ou non) où elle incarne de jeunes héros (Eduardo, Arsace, Tancredi) et un Rossini en plein cœur des évolutions de l’opéra d'alors, avec des airs de comédies où elle incarne des femmes (Isabella, Rosine) qui savent ce qu’elles veulent et qui l’obtiennent !
Dans « Ah perché, perché la morte... un’altra volta » (extrait de Matilde di Shabran), Marie-Nicole Lemieux campe un Eduardo plein d’autorité, pris entre les sentiments et l’exaltation typique de ces personnages héroïques de l’opéra seria, genre qui va s’éteindre peu à peu et dans lequel Rossini apporte une marque personnelle, avec une écriture orchestrale très soignée (ici, un “solo” de cor magnifique et magnifiquement exécuté par le premier Cor de l’orchestre). Les mêmes qualités se retrouvent dans « In si barbara sciagura » (extrait de Semiramide), où elle propose un Arsace plein de mâle assurance (superbes sons poîtrinés), avec une bravoure vocale héroïque qui laisse place dans l’arioso à d’émouvants sons en mezza voce. Dans la reprise finale (héritée de l’aria da capo en usage au XVIIIème siècle) les coloratures, exécutées avec autorité, sont en plus parfaitement adaptées au caractère de l’air et non pas mécaniques pour démontrer une virtuosité personnelle. Cette section se conclut avec un « tube », « Oh patria... di tanti palpiti » (extrait de Tancredi), l’air le plus connu de la partition, interprété avec brio. Après une superbe introduction orchestrale, et une entrée héroïque, le public s'attendrit sur « alma gloria », avant de succomber aux coloratures finales.
Marie-Nicole Lemieux (© Simon Villeneuve)
Dans la seconde section, Marie-Nicole Lemieux, avec un changement de vêtement, incarne deux jeunes héroïnes qui sont l’une et l’autre des jeunes femmes décidées, actives, volontaires et qui savent manifester leur volonté et l’imposer.
Isabella, qui débarque en Algérie, venue y chercher Lindoro, son amoureux captif, entonne alors « Cruda sorte », (extraits de L’Italienne à Alger) où elle explique son projet (attendrissant moment vocal sur « per te solo… »), puis explique combien elle sait y faire pour obtenir ce qu’elle poursuit. Marie-Nicole s’amuse et nous amuse en retour, dans un personnage complet, aux facettes multiples. Isabella revient en fin de concert avec « Amici in ogni evento », où sont mises en scène, là aussi avec efficacité vocale et dramatique tendresse, autorité et détermination.
Rosine, amoureuse d’un autre Lindoro, est émue au plus profond, et évoquant ce sentiment naissant, fait part de son désir et projet de « conquête », dans un autre « tube », « Una voce poco fa » (extrait du Barbier de Séville), où Marie-Nicole Lemieux sait épouser les divers épisodes (évocation, attendrissement, détermination...) au fil du texte de l’aria, avec la plus grande efficacité, jouant et chantant (irrésistible dans le « io sono docile… » par l’ironie qu’elle y met).
Marie-Nicole Lemieux enregistre "Cruda Sorte" de Rossini (extrait de L'Italienne à Alger) avec l'Orchestre National de Montpellier sous la direction d'Enrique Mazzola
La soirée est un triomphe : le public est conquis et reconnaissant. Elle le gratifie de trois bis, dont un extrait de la Pietra del Paragone (La Pierre de touche), un air (hésitant entre le rejet et la séduction) de Clarice puis en duo avec un ténor, ici assumé de manière hilarante par le chef ! Une soirée mémorable où triomphèrent Rossini, mieux servi que jamais par la volcanique Marie-Nicole Lemieux soutenue et magnifiée par un orchestre lui-même électrifié par Jean-Marie Zeitouni !