Immersion en répétitions : Pierrot lunaire en marionnettes japonaises à l'Athénée
Retrouvez également notre entretien croisé et exclusif avec les créateurs de ce spectacle
Tout au long de ses 21 poèmes éclairés, menacés ou moqués par l'astre nocturne, Pierrot lunaire déploie une histoire d'émotions, de sentiments, de couleurs. Les événements rythment une intrigue, le spectateur reconnaît les personnages iconiques de la Commedia dell'arte, mais cette œuvre est symboliste, lunaire : elle ne raconte pas l'enchaînement d'actions et de péripéties d'un conte traditionnel. C'est notamment là que réside la pertinence de ce projet : le bunraku (théâtre de marionnettes traditionnelles japonaises à découvrir ici, dans notre Air du Jour, en lien avec Pierrot lunaire) apporte l'histoire poignante de ses marionnettes. Les objets du Pierrot se retrouvent transportés dans le conte japonais : la pluie maculée, le sabre de la lune devenu un katana, l'ombrelle derrière laquelle se cachent le poète et la geisha.
Pierrot lunaire par Jean-Philippe Desrousseaux (© Gabriele Alessandrini)
C'est un travail déjà très avancé auquel les artistes nous ont conviés. Les filages sont complets, enchaînant de manière éloquente et intime les deux œuvres du programme : le Pierrot lunaire de Schoenberg donc, ainsi qu'en prélude, les Quatorze manières de décrire la pluie composées par Hans Eisler (un hommage à Schoenberg qui reprend l'effectif instrumental du Pierrot lunaire).
Une fois terminé le voyage du Pierrot lunaire, les musiciens reprennent certains morceaux épars afin d'affiner un tempo, une couleur, une articulation, un trait synchrone. Un poème entier peut être répété, parfois ce n'est qu'un geste, un accent d'un quart de secondes : « Reprenons numéro 7 mesure 15. Pa ba da da bim. Parfait ! » « Tu peux me couper le 55 ? Ok et le 72. » Ainsi le technicien des lumières participe-t-il à la polyphonie du plateau de répétitions en demandant à la régie les derniers réglages. Pendant ce temps, les marionnettistes rangent délicatement leurs personnages et replient les longues toiles de vêtements qui leur servent de balancelle, d'océan unissant ou séparant le poète, la geisha, le vieil homme.
Pierrot lunaire par Jean-Philippe Desrousseaux / (© Gabriele Alessandrini) Arnold Schoenberg
Un technicien monte à plus de 10 mètres du sol, sur un chariot élévateur, afin d'ajuster de quelques millimètres un projecteur qui doit faire parfaitement miroiter la lune sur le blanc visage des mannequins. Un autre recharge la machine à pétales, tombés du ciel en une pluie finale. Cette machinerie est une merveille du "système D" traditionnel des théâtres (d'autant plus admirable à l'ère de leur automatisation informatique) : cette machine à pétales est un tube de PVC fendu, simplement secoué par une ficelle depuis les coulisses.
L'expressivité des mannequins est remarquable d'humanité, dans leurs visages (le poète ayant même des sourcils mobiles), par ces corps qui respirent, se soulèvent et s'abaissent haletant dans l'action, amples dans le sommeil. C'est ce travail d'incarnation, commun aux marionnettes, musiciens, chanteuse et techniciens qui fait la vie du spectacle et l'intérêt d'une plongée dans son élaboration, incarnée, turgescente.
Pierrot lunaire par Jean-Philippe Desrousseaux (© Gabriele Alessandrini)
Accomplissant deux filages entiers, la séance de 3h est productive et sérieuse, la concentration n'empêchant pas une franche ambiance de camaraderie entre les artistes et l'équipe de plateau. Ainsi, le fou rire (étouffé sous leurs cagoules) des marionnettistes, après un heurt de manipulation, ne les empêche nullement de continuer leur travail précis et poétique !
Un bel esprit de troupe en somme, qui fait irradier ce spectacle et dont vous pourrez profiter à l'Athénée, les artistes ayant notamment l'habitude de venir échanger avec le public dans le foyer à l'issue des représentations.