Le Sacre de Méhul et Beethoven à Versailles
Événement aussi rare que palpitant dans le monde feutré de la musique classique, ce concert était au centre d'une véritable investigation brûlante d'actualité. En effet, les recherches préparatoires aux célébrations du bicentenaire de la mort d'Étienne Nicolas Méhul (1763-1817) menées par le Palazetto Bru Zane ont bien vite soulevé de nombreux doutes autour de cette Messe en la bémol majeur « dite de Méhul » pour le Sacre de Napoléon : sortant du lot en tant que seule œuvre religieuse parmi le catalogue du compositeur, et qui n'a pas même été jouée pour le couronnement de l'Empereur en décembre 1804, sa résurrection ayant attendu 1879. Après de multiples rebondissements et une véritable investigation au long cours et aux quatre coins du globe (dans des archives à Bratislava, New York, Vienne, Paris, Pisek, Prague, Toulouse et en Vendée), la révélation a eu lieu quelques mois à peine avant ce concert devenu un événement : cette œuvre a été en fait composée par le maître de chapelle autrichien Franz Xaver Kleinheinz (1765-1832).
Étienne Nicolas Méhul
C'est donc tandis que le public a les yeux rivés sur le programme pour savourer cette histoire palpitante que les artistes de l'Ensemble Les Siècles montent sur scène. Visiblement, l'intérêt aiguisé des spectateurs inspire des musiciens radieux et généreux, preuve que le travail musicologique a une influence directe et fondamentale sur le jeu instrumental : les artistes s'impliquent autant qu'ils sentent de passion dans la salle. D'autant que le programme est composé avec génie : mariant les œuvres françaises à la sublime 5ème Symphonie de Beethoven. Les compositions d'une même soirée dialoguent toujours entre elles, de gré ou de force : ici les rapports sont enthousiasmants et les œuvres prennent toutes des accents romantiques échevelées Beethoveniennes (d'autant plus dans l'interprétation offerte ce soir-là).
La Chasse du Jeune Henri (extraite de l'opéra de Méhul dédié à Henri IV) s'inspire du génie romantique pour marier les timbres (en particulier le cor et la flûte unis dans la richesse d'un instrument à l'amplitude infinie). La musique bouleverse par des contrastes puissants et expressifs : piano, mineur et voilé, tous subito. Les pianissimi enjoués et enroués des cors de chasse perpétuent la délicatesse des lignes. Cette caccia (chasse) est fort allante, avec ses appoggiatures pointées du bout des archets et des lèvres, avant de soulever soudain une houle orchestrale aux cuivres trompetant.
Noble et tonique, le chef Francois-Xavier Roth se penche avec grâce vers ses musiciens, au point d'effleurer le pupitre de son premier violon et de tendre la main au bord de sa touche, comme pour jouer lui-même de l'instrument. Dans les passages rapides, la virtuosité des cordes impressionne, notamment les deux pupitres de violons enchaînant alternativement des dizaines de notes allegrissimo balayant leurs quatre cordes, dans un effet de stéréophonie. Dans ce tempo qui est la marque de toute la soirée, cette pièce ne dure que quelques minutes à peine mais soulève déjà les bravi. Le deuxième, et donc dernier morceau véritablement composé par Méhul est l'ouverture Les Amazones. Les premiers accords sont à ce point similaires aux terribles coups initiaux du Don Giovanni de Mozart, qu'on en croirait presque que les musiciens se sont trompés de partition. Si la différence surgit sitôt que s'égrènent des résonances différentes, cette musique n'a pas à rougir de son expressivité et de sa construction. Les cuivres et les bois du fond de scène projettent de puissants coups sonores, que les cordes du proscenium dilatent, monnayent, réduisent et font miroiter.
La 5ème Symphonie de Beethoven qui architecture le programme s'enchaîne à un rythme effréné. Les coups d'un destin frénétique explosent et résonnent longtemps aux timbales. Preuve éclatante de leur talent, les musiciens offrent toute la richesse de leurs timbres, malgré le tempo haletant. Ils s'encouragent du regard (et parfois même de la voix) à accomplir ce sprint qui en vient tout de même à sacrifier la musicalité sur l'autel de la performance, accélérant encore davantage en fin de symphonie. La grande fugue du troisième mouvement est menée de mains de maîtres par autant de pupitres-voix unis. C'est donc un regret que cette symphonie passe si vite et que le chef ne laisse jamais résonner le moindre accord dans cette acoustique royale. Sa célérité va toutefois de pair avec son implication : le chef souffle et souffre audiblement avec son orchestre. Il termine le concert en nage (certainement un hommage aux Grandes Eaux de Versailles).
Le Sacre de Napoléon par Jacques-Louis David
Après l'entracte, la Messe en la bémol majeur « dite de Méhul » pour le Sacre de Napoléon offre quatre solistes aux identités vocales remarquables. Leurs pattes sonores individuelles savent se mêler, il est donc aussi aisé qu'agréable de suivre leurs voix, même lorsqu'elles s'enchevêtrent dans le contrepoint, avant que les conclusions des mouvements ne leur construisent de parfaits accords.
Le baryton Tomislav Lavoie happe l'attention dès sa première note tonnante. Son intensité dramatique est digne d'un personnage d'opéra. Statue de commandeur, la voix est pleine d'une énergie noble, presqu'intimidante et remplie d'un mouvement vital vrombissant. Dans une symbolique parfaite, le baryton quitte la scène sur le Resurrexit, comme le Christ quitte le sol. Le ténor Artavazd Sargsyan énergise son aigu. Dans le médium grave, il est d'une grande douceur qu'il conserve dans les transitions aiguës à la manière des chanteurs de zarzuela. Il allège aussi la voix et, délicieusement, zozote presque les son s, ceux-là mêmes qui cassent si souvent la beauté des lignes vocales.
Caroline Meng (© Floreanneroth)
La mezzo-soprano Caroline Meng dégage une sérénité confiante. Ses graves assurés passent même au-dessous de la voix ténor, tout en restant au-dessus en volume. La soprano Chantal Santon-Jeffery est à la fois charpentée dans une assise grave et rayonnante en aigus. Elle projette une voix intense, d'un regard noir et d'une bouche tendue. Agiles, les quatre chanteurs renforcent la précision et le détail de la concorde sonore par des vocalises précises et riches. Cette qualité vocale ferait presque oublier un latin prononcé autant que possible à la française (avec les ü les plus fermés et serrés qui soient).
Chantal Santon-Jeffery (© Chantal Santon)
Enfin, le Chœur de la Radio Flamande (Vlaams Radio Koor), préparé par nul autre qu'Hervé Niquet, impressionne : sérieux et sobre, leur seule qualité de chant suffit à rendre les splendeurs et misères religieuses sans qu'aucun geste ou mimique faciale ne soit nécessaires. La densité du son choral laisse aisément deviner la qualité individuelle de chacun de ses membres, leur application et leur travail de mise en place commune. Souhaitons que de telles initiatives se reproduisent, offrant de belles occasions de découvrir un répertoire passionné et passionnant.