Notre-Dame de Paris résonne encore de la Passion selon Buxtehude
Dietrich Buxtehude (1637-1707) est un compositeur et organiste allemand qui jouissait d'une renommée de tout premier plan à son époque (notamment auprès de Jean-Sébastien Bach, dont la légende raconte qu'il aurait parcouru 400 kilomètres à pied pour entendre jouer ce maître absolu). En 1680, Buxtehude compose un cycle de sept cantates, sa Passion Membra Jesu nostri dans laquelle chaque mouvement est consacré à une partie du corps de Jésus : pied, genou, main, flanc, poitrine, cœur et visage. L'œuvre détaille le divin corps supplicié de bas en haut, s'élevant de la Terre vers le ciel, comme cette musique dans Notre-Dame et Jésus montant au Paradis après la Passion :
« Voici sur les montagnes les pieds du messager qui annonce la paix. [...] Ne me repousse pas, indigne De tes pieds saints. » « Vous serez allaités et portés, Et caressés sur les genoux. » « Que sont ces plaies au milieu de tes mains ? », « Je te salue, flanc du sauveur, En lequel repose le miel de douceur. » « Je te salue poitrine qu'il faut révérer, Qu'il faut toucher en tremblant, Demeure de l'amour. » « Doux cœur, et parce que je t'aime Incline vers mon cœur. » « Que ton visage brille sur ton serviteur. »
Scène de musique dans un intérieur, par Johannes Voorhout (1674). Dietrich Buxtehude tient la viole, aux côtés de Reinken au clavecin
L'ensemble des musiciens se distingue par une qualité de jeu et une grande implication. Ces interprètes baignent visiblement (et surtout "audiblement") dans ce répertoire de musique ancienne et sont presque des résidents de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, tant ils y jouent et savent adapter et affiner leur son pour cette acoustique aussi généreuse que difficile à clarifier.
Le premier violon se fait tout d'abord repérer, par sa fougue romantique, jetant son archet et sa mèche de cheveux en grands élans expressifs. Il offre ainsi une succession de soufflets sonores poignants. Le continuo assure l'assise harmonique, mais bien plus que cela, il offre un son plein et organique, caressé du crin des archets.
La Maîtrise Notre-Dame de Paris (© MSNDP)
Sur cet ensemble instrumental riche en timbres expressifs et dolents, avec en outre un clavecin d'une délicatesse déliée, des choristes s'avancent tour à tour pour de brèves interventions solo. C'est surtout dans les tutti choraux que le contrepoint harmonieux de cette musique baroque déploie la subtilité de ses lignes avec toute l'ampleur des résonances de Notre-Dame de Paris, comme du message divin. L'acoustique d'une telle Cathédrale est extrêmement longue et réverbérante, mais les interprètes offrent toute la clarté nécessaire pour que le son ne se noie jamais. Les accents sur les entrées des pupitres construisent des fugues architecturales, s'harmonisant dans des ensembles aussi légers et doux que riches en intentions. Les timbres vocaux et instrumentaux se marient en s'élevant au sommet des voûtes en ogive, avant d'y tournoyer longtemps.
Le maître-autel Notre-Dame de Paris
Sous la direction d'Henri Chalet, tous les pupitres savent arrondir le son d'ensemble harmonieux, ils offrent aussi les contrastes de parties séparées, passionnées, endolories comme les parties du corps supplicié : les ténors et contraltos épaississent leur chant, les basses ajoutent du métal à leur timbre et les sopranos du perçant. Ayant ainsi parcouru le corps du Christ, des pieds à la tête, ce concert décidément fascinant et envoûtant s'achève sur les volutes vocalisantes de l'Amen.
Henri Chalet (© Jean-Baptiste Millot)