Cenerentola de Bartoli à Versailles, une machine de haute précision
Château de Versailles Spectacles présentait ce vendredi l’un des événements de sa saison : la Cenerentola interprétée par Cecilia Bartoli, qui a souhaité faire une tournée pour l’anniversaire des 200 ans de l’une de ses œuvres fétiches. Mis en espace par Claudia Blersch, le spectacle fait appel à une troupe d’une rare qualité, dont chaque artiste mériterait de voir son nom écrit en grand sur l’affiche, en dessous de celui de la diva italienne. Le public ravi leur a d’ailleurs réservé une standing ovation à la fin de chacune des deux parties du spectacle.
La mise en espace de Claudia Blersch s’appuie avec intelligence sur les costumes drolatiques de Luigi Perego. Clorinda et Tisbe se trouvent ainsi affublées d’accoutrements ridicules : la première est en robe à écailles, dont la traîne se termine par une nageoire, tandis que la seconde porte une robe à plume et un chapeau en forme de crête d’oiseau. Des éclairages puissants et colorés créent les différents espaces (la maison de Cenerentola, le Palais, la cave, etc.), tandis que quelques accessoires et éléments de mobilier permettent un jeu scénique séduisant, comme lorsque le Don Magnifico de Carlos Chausson mime au début de l’acte II les conversations qu’il a avec ses courtisans en passant d’une chaise à l’autre. Durant l’ensemble Questo È Un Nodo Avviluppato, le Prince Ramiro fait courir une cordelette entre les différents protagonistes, les liant ainsi les uns aux autres. Si l’idée semble s’inspirer de la mise en scène de Cécile Roussat et Julien Lubek présentée à Liège en 2014, il n’en reste pas moins qu’elle apporte du jeu à un ensemble particulièrement attendu par le public. Autre clin d’œil, cette fois à la mise en scène de Cesare Lievi qui est au répertoire du Metropolitan : lorsqu’Alidoro dévoile son identité à Cendrillon, il découvre sous son long manteau des ailes d’ange complétant son costume blanc.
Gianluca Capuano, qui remplace Diego Fasolis initialement prévu, dirige d’une gestique flegmatique l’ensemble Les Musiciens du Prince (fondé par Cecilia Bartoli), qui emporte les solistes dans des tempi vertigineux, dont ils s’acquittent brillamment, impressionnant un public pourtant connaisseur, en témoignent les nombreux hochements de tête accompagnant les accentuations de la partition rossinienne. Le débit des chanteurs est extraordinaire et, malgré la vitesse fulgurante du chant, les ensembles sont parfaitement en place rythmiquement, à part un léger décalage sur le sextuor de la fin de l’acte II, véritable galop final. L’ensemble joue sur instruments anciens, ce qui lui prodigue une sonorité boisée. Les pupitres se répondent, laissant le ressortir le piccolo ou le trombone, et nuançant leur interprétation avec une simultanéité et une netteté édifiantes. Le percussionniste de l’ensemble, déjà admiré lors du récital de Bartoli au TCE (compte-rendu à lire ici), est une nouvelle fois très applaudi, ses coups de grosse caisse créant une tempête explosive, tandis que ses bruitages viennent ponctuer, hors partition, l’action scénique non sans une touche humoristique appréciable. Le Chœur de l'Opéra de Monte-Carlo, habillé de chapeaux melon, est impeccable.
Ugo Guagliardo (Alidoro) dans La Cenerentola par Claudia Blersch (© Alain Hanel, Opéra de Monte-Carlo 2017)
Cecilia Bartoli apporte son habituelle générosité, son plaisir de chanter et de jouer, prenant le public à témoin et prodiguant avec gourmandise des mimiques expressives. Elle se démène en Cendrillon, passant le chiffon sur les sièges des instrumentistes de l’orchestre, puis apparaît, vêtue d’une brillante robe argentée, au balcon du théâtre, dont la porte lui est ouverte par Laurent Brunner (le Directeur de Château de Versailles Spectacles) en personne. Vocalement, elle offre un timbre sombre dans les graves en faisant remonter son larynx, tandis que ses aigus ont une rondeur très reconnaissable. Ses vocalises époustouflantes dont elle livre une véritable démonstration dans la conclusion de l’ouvrage, semblent s’envoler sans effort, chaque note s’en détachant nettement dans une gymnastique vocale peu commune. Son prince, Ramiro, est chanté par Edgardo Rocha. Comme dans ses récents Pêcheurs de perles à Nancy (lire notre compte-rendu ici), le ténor offre une prestation remarquable dans ses parties solistes, mais reste effacé dans les ensembles. Ses aigus sont gracieux et émis dans un souffle puissant. Ses vocalises sont claires mais saccadées, tandis que son phrasé est délicat. Son jeu de scène pince-sans-rire crée de belles interactions avec ses partenaires.
Edgardo Rocha (Ramiro) et Cecilia Bartoli (Cenerentola) (© Alain Hanel, Opéra de Monte-Carlo 2017)
Le valet Dandini bénéficie de la voix tonnante de Nicola Alaimo, dont le legato empreint de noblesse et les aigus soyeux viennent compléter un parfait attirail vocal dans les basses. Il est d’ailleurs très applaudi à la fin de son premier air. Capable d’autodérision, il joue de sa carrure imposante pour pousser ses partenaires à coups de ventre ou feindre de ne pas parvenir à croiser les jambes. Lorsqu’il se met à genoux devant Cendrillon dans un saut de cancaneur, il regarde le public d’un air étonné de sa propre prouesse. Dans l’air Zitto, Zitto, Piano, Piano, Rocha et lui font chuinter les « ch » de manière à émettre des « chut ! » dont ils jouent parfaitement dans leur interprétation scénique. À l’aise dans les ensembles, quel que soit leur tempo, il y interagit avec ses partenaires comme si son chant ne lui demandait aucune concentration.
Sen Guo (Clorinda ), Carlos Chausson (Don Magnifico) et Irène Friedli (Tisbe) (© Alain Hanel, Opéra de Monte-Carlo 2017)
Carlos Chausson est un spécialiste du rôle de Don Magnifico, et cela se voit, tant dans le débit et la prononciation, que dans le jeu, poussé jusque dans la démarche qu’il adapte à son personnage. Ses sourires niais, ses courbettes et ses trépignements dessinent bien son personnage. Sa voix est grave mais lumineuse, et raisonne souplement dans sa mâchoire : sa puissance lui permet de ressortir face au chœur et de structurer les ensembles. L’autre basse, Ugo Guagliardo, campe un Alidoro fier et confiant, d’une voix radieuse dans les graves. Son vibrato, dont il use avec parcimonie, est très court et resserré. Moins à l’aise rythmiquement, il génère parfois de micro-décalages avec l’orchestre ou avec ses partenaires. Enfin, les deux sœurs, Clorinda et Thisbe, alias Sen Guo et Irène Friedli, très drôles dans leur interprétation scénique, ressortent vocalement dans les ensembles, montrant à quel point chaque rôle est assumé par des chanteurs de qualité pour un concert mémorable.
La Cenerentola par Claudia Blersch (© Alain Hanel, Opéra de Monte-Carlo 2017)
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