Rentrée nature (musicale) à Radio France
Des Nuits d’été aux sentiers des Alpes Bavaroises
Un double anniversaire se trouve fêté en cette saison de l’Orchestre Philharmonique de Radio France : les 10 ans du nouvel auditorium mais aussi les 10 ans de présence de Mikko Franck à la tête de cette prestigieuse phalange. Le chef quittera toutefois son poste à l’issue de cette nouvelle saison musicale placée sous la thématique « Nature et Vivant ».
De fait, les grandes œuvres musicales du répertoire touchant à la nature se trouvent programmées le temps des 14 concerts prévus, de Beethoven, Debussy ou Smetana, en passant par Richard Strauss et sa Symphonie Alpestre en ce premier soir. Le choix de cette œuvre résonne d'autant plus avec la programmation thématique, l'Orchestre en dédiant l'exécution au Grand Glacier d’Aletsch situé dans le Valais Suisse (la superficie de ce glacier géant, l’un des plus beaux d’Europe, ne cesse de se réduire à grande vitesse du fait du réchauffement climatique qui touche toute la planète : dans les conditions actuelles, il pourrait fondre d’ici 2100).
"Quand viendra la saison nouvelle, Quand auront disparu les froids," paroles qui ouvrent Les Nuits d’été d’Hector Berlioz et ce concert, résonnent de fait d'une tout autre tonalité. Ces « six paysages d’Arcadie » selon le mot très juste de l’historien et musicologue allemand Norbert Miller, offrent une variété extrême dans la révélation des sentiments. Entre sensualité et expression presque funèbre, visions prémonitoires, rêverie et nostalgie, ces mélodies parmi les plus inspirées du répertoire affichent un lyrisme pleinement romantique que l’interprète soliste se doit de mettre en valeur et d’incarner. Et en effet, Lea Desandre s’empare du cycle avec une juste gravité, d’une voix soyeuse sur toute son étendue, aux déclinaisons irisées et s’élevant vers l’aigu avec une sorte de volupté maîtrisée. Son timbre de mezzo léger et la maîtrise du legato font merveille dans "La Villanelle" ou "Sur les Lagunes", tandis que les graves plus sonores d’"Au Cimetière" s’avèrent pleinement valorisés. Le ton d’ensemble paraît toujours juste, sans vouloir chercher la démesure ou l’accentuation excessive. Seule la mélodie finale, "L’Île Inconnue" pourrait être interprétée avec un peu plus de vivacité expressive et surtout de largeur.
Lea Desandre a déjà précédemment chanté ces Nuits d’été, la maturité et l’expérience personnelle lui permettront très certainement d’imprimer des marques plus affirmées à ce cycle complexe ici encore un peu trop tendre.
Mikko Franck s’attache à faciliter la tâche à Lea Desandre, modérant à propos les sonorités de l’orchestre et déployant sous son chant tout un tapis poétique constitué des plus subtiles couleurs instrumentales. L’assemblée musicale ainsi constituée fait le bonheur unanime des auditeurs nombreux au sein de l’Auditorium de Radio France. Ils peuvent également apprécier la continuité dans le geste orchestral, qui traite comme d'un mouvement continu les 22 parties successives de la Symphonie alpestre (symphonie descriptive qui échappe aux mouvements de la symphonie traditionnelle). L'auditeur part ainsi sur les pentes et les prairies des Alpes Bavaroises, en une journée d’excursion et d’ascension, un hymne à la nature ponctué des bruits les plus bucoliques. Sur ce plateau totalement occupé (l'œuvre requérant éolienne et machine à tonnerre) et avec son nouveau premier violon solo, Nathan Mierdl, Mikko Franck maîtrise cette montée émotionnelle, déchainant certes avec maestria les tutti mais mettant tout autant en valeur les parties plus intensément lyriques de la partition. Cette approche ne vient pas étourdir l’auditeur, mais bien plutôt le galvaniser et l’émerveiller. Un très long et profond silence s’établit à l’issue de cette exécution, avant que les applaudissements ne retentissent avec ferveur.
La création mondiale, commande effectuée auprès de la compositrice et cantatrice Tatiana Probst -issue de la prestigieuse lignée de la famille Casadesus-, pour la Maîtrise de Radio France est d’ailleurs dédiée entre autres à la directrice musicale de cette dernière, Sofi Jeannin. Cette pièce intitulée Du Gouffre de l’aurore, d’une durée de 10 minutes, s’ouvre de manière fracassante avant d’offrir une sorte de traversée dramatique sur la thématique de la liberté et de la vie en elle-même. Elle expose un texte assez complexe, inquiétant même et interrogateur sur la destinée ou le simple devenir. Ce questionnement résonne de façon d’autant plus impérieuse qu’il repose sur des voix d’enfants et d’adolescents. L’écriture en elle-même demeure globalement tonale, dans la ligne notamment d’Henri Dutilleux que Tatiana Probst admire profondément, avec des soubresauts succédant à des parties plus calmes ou plus saccadées. L’orchestre occupe une place importante dans cette pièce dominée toutefois par le chœur. Tatiana Probst connaît bien les enjeux de la Maîtrise de Radio France et ses qualités (pour en avoir fait partie). Les jeunes de la Maîtrise répondent ainsi avec vaillance aux difficultés inhérentes de la partition, avec une précision remarquable et plus encore une adhésion totale à la démarche. Leur prestation, tout comme l’œuvre en elle-même et sa compositrice, sont également et chaleureusement saluées par l’ensemble du public.