La Netrebko dans Tosca, « E lucevan le stelle » à Vérone
Le Festival de Vérone est riche d’une longue expérience (il a fêté ses 100 ans l’an passé) qu’il met à profit dans une organisation optimale en ce qui concerne l’accueil des nombreux spectateurs venus écouter Tosca de Puccini (les arènes peuvent contenir jusqu’à 22.000 spectateurs).
La production de Hugo de Ana (qui assure à lui seul la mise en scène, les décors, les lumières et les costumes) est également rompue au lieu puisqu’elle y a été créée en 2006 et est régulièrement reprise in situ. La mise en scène ne rompt pas avec une certaine tradition et s’adapte au mieux à l’espace théâtral considérable. L’opéra se déroule alors sous l’immense figure tutélaire de l’archange Saint-Michel, figure emblématique du château Saint-Ange d’où commence et où s’achève le drame. Il est également porteur d’une symbolique riche. Représenté l’épée levée, il incarne le chef de la milice du ciel, baissant les armes à la mort du chef de la police pontificale Scarpia. Il est également une figure protectrice accueillant Tosca, et l'élevant vers les cieux à la toute fin de l’œuvre (lui évitant le traditionnel saut des remparts). La mise en scène se veut également réaliste, les costumes sont traditionnels et les canons tirent réellement pour annoncer l’évasion du prisonnier Angelotti, faisant sursauter et crier le public.
Si la direction d’acteur semble quelque peu légère notamment dans les scènes réunissant Tosca et Mario (Anna Netrebko opte pour une certaine grandiloquence théâtrale, Yusif Eyvazov demeurant plus modéré), Hugo de Ana organise de spectaculaires scènes de foule avec des effets spéciaux. Au cours du "Te Deum", de nombreux figurants défilent dans un halo de fumée d’encens et des responsables ecclésiastiques surgissent dans des niches sur le mur de fond de scène.
Cette soirée revêt un caractère exceptionnel, par un casting de solistes superlatif d’une homogénéité remarquée, et par la première Tosca véronaise d’Anna Netrebko.
La diva est acclamée dès son entrée sur scène dans une robe aussi lumineuse que son timbre. « La Netrebko » possède la voix idoine pour le rôle. Son grave charnu et soutenu (trop pour certains) assure sa présence dans le drame avec une grande intensité : qu’elle exprime son amour, l’effroi ou la colère. Dans un autre registre, l’aigu est lumineux et brillant, préservant une solide projection jusqu’à l’ultime « O Scarpia, avanti a dio! » qui achève l’œuvre dans un climax d’intensité.
L’air « Vissi d’arte », attendu religieusement par le public, est vécu comme un moment de grâce. Commencé sobrement sur un fil de voix, son chant s’intensifie vers des aigus bouleversants et elle implore dans une suavité et un souffle paraissant infini. Si elle ne parvient pas à émouvoir Scarpia, elle subjugue cependant le public qui lui réserve une ovation soutenue.
Les deux protagonistes masculins participent également à la réussite de la soirée, et la soprano trouve en la présence de Yusif Eyvazov un partenaire à sa mesure. Le ténor déploie un matériau somptueux et puissant, adéquat à la grandeur des arènes. Il déclare son amour à Tosca dans une projection assurée, une brillance de timbre gorgé d’harmoniques, et une tenue de souffle irréprochable, ce qui lui vaut des « Bravo! » dès sa première intervention. Il délivre « E lucevan le stelle » avec beaucoup d’émotion tout en évitant les effets emphatiques. Grace à une maîtrise technique remarquable, il atteint les aigus dans une délicatesse à faire fondre les pierres des arènes et le cœur du public.
Luca Salsi, habitué des Arènes de Vérone, donne au rôle de Scarpia une épaisseur dramatique nuancée. Chef de la police vil et brutal, sa voix se déploie dans une puissance impressionnante et, dans les scènes violentes avec Tosca, il s’appuie fortement sur le texte, préservant cependant le centrage et la conduite du phrasé. Manipulateur, il fait preuve de nuances subtiles et de legato lorsqu’il essaie d’extorquer des aveux à Tosca.
Les seconds rôles sont assumés avec prestance et engagement. La basse Gabriele Sagona incarne le rôle d’Angelotti, le prisonnier fugitif, d’une voix aussi ferme que son engagement politique. Le sacristain est interprété par Giulio Mastrototaro qui distille la truculence du personnage avec une émission et une diction précises. Le ténor Carlo Bosi incarne le policier Spoletta d’une voix claire et définie, manquant toutefois d’ancrage pour affirmer la noirceur du personnage.
Sciarrone, bien qu’interprété précisément par le baryton Nicolò Ceriani, manque également de méchanceté, sa voix se perdant quelque peu dans l’immensité du lieu. Le baryton-basse Carlo Striuli fait entendre un timbre sombre à l’égal de la cellule dont il a la garde. La jeune Erika Zaha interprète le rôle du berger d’une voix enfantine (sans vibrato) dotée d’une certaine puissance de par une émission propre à la musique traditionnelle.
L’orchestre est mené d’une main experte par le chef Daniel Oren. Il opte pour des tempi tranquilles favorables au développement du son dans l’immensité des arènes. L’auditoire s’habitue alors à l’acoustique qui fait entendre dans un premier temps un son d’ensemble quelque peu lointain. Très attentif à l’équilibre avec le plateau, il demande aux musiciens des nuances subtiles et insuffle des suspensions et des respirations qui participent de l’émotion véhiculée par la musique de Puccini. L’équilibre demeure cependant plus fragile à l’entrée du choeur de la Fondation des Arènes de Vérone. Minutieusement préparé par Roberto Gabbiani, l’ensemble sonne si vaillamment qu’il galvanise le Te Deum tout en prenant parfois le dessus sur l’orchestre.
Le public, venu du monde entier, réserve une salve d’applaudissements aux artistes, les arènes retentissent alors de « bravo, brava, bravi » !