Le Vaisseau Fantôme de Bayreuth, un film noir
Dmitri Tcherniakov a imaginé pour ce Vaisseau fantôme de faire indirectement allusion à l'univers de la mer et des ports de la Baltique où accoste le navigateur maudit. Tout ici traduit pourtant la présence des marins et des navires de pêche, avec ces travailleurs en vareuse et bonnet de laine occupés à vider des bières dans des bars interlopes. Tcherniakov transforme l'intrigue en film noir où la tension psychologique puise dans Lars von Trier et John Fosse. Il y a des non-dits sous-jacents qui sont illustrés durant l'ouverture par une longue scène mimée qui raconte le passé du Hollandais, enfant traumatisé par le spectacle de sa mère courtisée par Daland - puis rejetée par lui et mise au ban de la petite société locale qui la poussera au suicide. Un fait marquant d'où découle le second traumatisme, à la découverte du corps pendu à une poutre et le désir pour l'enfant de retourner sur les lieux du drame afin de venger sa mère.
En donnant un arrière-plan narratif logique à l'irruption du Hollandais dans la communauté dirigée par Daland, Tcherniakov éclaire d'un jour particulier la Ballade de Senta et la question de la confusion entre fantasme et fantôme. Des zones d'ombres subsistent, comme de savoir si le Hollandais est le fils illégitime de Daland, ou bien si lui et Senta sont frère et sœur… et qui est cet inconnu dont Mary cache le portrait dans son sac ? Autant de pistes passionnantes qui annoncent le coup de théâtre final où Mary fait irruption et tue le Hollandais d'un coup de fusil, mettant un terme à l'espoir de toute rédemption.
Vocalement, ce Vaisseau fantôme vaut surtout pour la performance étourdissante de Michael Volle qui habite le personnage d'une belle autorité, avec un phrasé remarquable ("Wie aus der Ferne") et une façon d'alléger les notes qui garantit la clarté du phrasé. Elisabeth Teige prouve cette année encore qu'elle possède la couleur et la ligne d'une Senta qu'elle dessine avec une expressivité très intense, tout feu tout flamme, capable d'aigus souverains et d'une endurance appréciable.
Toujours aussi convaincant en Daland, le fidèle Georg Zeppenfeld n'a pas à forcer son talent pour camper un personnage dont la bonhommie un peu naïve est teintée d'une méchanceté évidente. La projection n'est pas particulièrement soulignée, préférant au volume la précision du phrasé et de la diction. Tcherniakov l'imagine en conjoint de Mary à laquelle Nadine Weissmann apporte un instrument dont le métal émoussé ajoute une touche sensible et profonde. Eric Cutler campe un Erik dont il connait par cœur toutes les nuances et auquel il offre projection et endurance.
Placé sous la direction de l'inamovible Eberhard Friedrich, le chœur brille toujours d'une présence et d'une précision confondantes, tandis que la direction d'Oksana Lyniv gagne de toute évidence en élan et en carrure, ouvrant le champ à une lecture tantôt attendrie, tantôt rugueuse, sans presque jamais laisser retomber la tension. Un fracas d'applaudissement salue l'ensemble du plateau et la direction, avec comme seul regret l'absence de l'équipe de mise en scène.
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