L'Or du Rhin façon soap opéra à Bayreuth
Ajournée pour cause de crise sanitaire, cette production du Ring du Festival de Bayreuth, mise en scène par Valentin Schwarz a connu de nombreuses difficultés, pour enfin voir le jour sous la direction de Cornelius Meister remplaçant Pietari Inkinen initialement prévu mais victime de la malédiction du virus la première année et accédant au podium l'an dernier pour un été seulement. Le spectacle imaginé par Valentin Schwarz s'appuie sur l'univers des sagas, déroulant le fil dramaturgique d'une transposition qui fait du monde des dieux celui des puissants et des possédants qui occupent au quotidien notre espace médiatique. Monté à la manière d'une série télé façon soap opera, la production cherche à dynamiter et dynamiser le mythe pour lui substituer les péripéties conflictuelles d'une famille en quête de pouvoir et de domination.
L'Or du Rhin met particulièrement à jour le potentiel et les faiblesses de cette option, notamment dès la vidéo préliminaire montrant les fœtus Wotan et Alberich luttant dans une seule et même poche amniotique. L’idée est intéressante, mais il manque une explication des causes de la bonne fortune de l'un et la déchéance de l'autre. Les symboles narratifs sont systématiquement gommés mais pas toujours remplacés de façon claire et signifiante, comme ce vol de l'or qui prend la forme d'un rapt d'enfant (sans doute Hagen, le "golden boy », futur héritier et destructeur de l'empire de Wotan).
Point de Nibelheim également, mais un atelier de fillettes dessinant des masques de Wotan sous la houlette de Mime. Même les fameuses transformations cèdent la place à un jeu dont l'intérêt unique est de substituer son arme à Alberich et le ramener dans le loft classieux où les dieux règnent en parvenus oisifs et désabusés. Ni les géants en malfrats, ni Freia en maniaco-dépressive suicidaire, ni Donner troquant son marteau contre un club de golf n'offrent de concepts capable de faire tenir tout l'ensemble d'un bout à l'autre.
À ces idées confuses répond une distribution alternant les bonnes et les mauvaises surprises. À commencer par la Fricka de Christa Mayer, dont l'assise et la projection rivalisent de poids et de présence face au Wotan de Tomasz Konieczny. Le baryton-basse polonais confond puissance et phrasé, ne laissant entendre du rôle qu'un flux engorgé à la justesse approximative.
L'Alberich sarcastique et très contrasté d’Ólafur Sigurdarson lui dame le pion, même si cette année, quelques tensions apparaissent et donnent à la performance quelque chose de métallique. De retour dans le rôle de Loge (qu’il chantait en 2015 dans la production Castorf), John Daszak ne décolle pas d'une prestation marquée par la nervosité des intonations et une ligne constamment hachée et consonantique.
Ya-Chung Huang réussit ses débuts sur la colline avec un Mime fulgurant et énergique, aux côtés de Christina Nilsson, autre débutante de luxe dans un rôle de Freia auquel elle prête un registre aigu très aérien et élégant. Jens-Erik Aasbø (Fasolt) et Tobias Kehrer (Fafner) ne forcent pas leur talent, le premier avec un vibrato très contrôlé et le second dont la noirceur du timbre semble encore sur la réserve.
Le Donner de Nicholas Brownlee fait lui aussi ses premiers pas sur la Colline et le public de Munich se réjouit de l'entendre prochainement en Wotan dans le Ring de Tobias Kratzer. La couleur est pulpeuse et très sonore, avec une attention de tous les instants à la prononciation et aux nuances qui manquent un peu au Froh trop contrôlé et trop terne de Mirko Roschkowski.
Des Filles du Rhin émerge la Wellgunde de Natalia Skrycka, peu relayée par une Woglinde (Evelin Novak) et Floßhilde (Maria-Henriette Reinhold), toutes deux exagérément vibrées. La fidèle Okka von der Damerau emporte la palme de la soirée avec une Erda toujours aussi capiteuse et exceptionnelle.
Dans la fosse, Simone Young trouve en un rien de temps cet équilibre des pupitres et cette énergie communicative que Cornelius Meister et Pietari Inkinen ont cherché durant les deux dernières saisons. L'impression générale est celle d'un flux narratif qui fait de cet Or du Rhin une véritable conversation en musique. Les tempi sollicitent la progression de l'action et donnent de ce Prologue au Ring un sentiment parfaitement abouti qui prend le relais d'une scénographie peu claire. Désarçonné en partie par cette approche, le public n'en boude pas moins son plaisir et fait aux interprètes une longue et bruyante ovation.