Daral Shaga, premier opéra-cirque
Œuvre contemporaine, Daral Shaga est une création de l'Opéra de Limoges et de la compagnie Feria Musica. Composée par le belge Kris Defoort et écrite par Laurent Gaudé -prix Goncourt, il avait déjà écrit sur le thème des migrants dans son roman Eldorado- l'œuvre est un message pour la liberté, sur l'exil et les frontières. Cette pièce est un moyen de traiter le sujet des migrants via un autre canal que l'espace médiatique. Un espace dans la durée et dans l'empathie, où chaque image renvoie à de multiples histoires. Il s’agit ici de deux parcours, celui de Nadra et de son père qui quittent leur terre natale vers un avenir incertain et fantasmé. L'histoire est aussi celle d’un immigré déjà arrivé en Europe, mais qui se rend compte de sa perte d’identité et du rejet d'une population au sein de laquelle le fantasme a fait place à la réalité.
Daral Shaga par Fabrice Murgia (© Hubert Amiel)
Il faut saluer cette mise en scène de Fabrice Murgia et le rythme soutenu de la pièce avec ses effets de tableaux. La scène est plongée dans l'obscurité. Un voile de tulle joue le rôle d’écran transparent sur lequel sont projetés les gros plans des actions jouées sur scène. Le public voit à la fois la scène dans son ensemble et des gros plans des personnages. Avec cette vision globale et la vision dans le détail, rien ne lui échappe. Un élément du décor fait même office de personnage dans cette pièce : la grille, la frontière. Inexistante au début, elle s’approche et devient de plus en plus menaçante au cours de la narration, jusqu’à s’interposer entre le public et la scène. Le changement de décor est fait dans l’obscurité, alors qu’un chanteur accapare l’attention du public au premier plan. Tout roule et, le temps d’une chanson, la scène a changé de visage. Cette scénographie n’est pas une description pure et dure de l’action. Elle convoque la symbolique et l'émotion, notamment grâce aux acrobates qui font des parallèles avec l’histoire, comme ces portés en équilibre dans la scène où le père de Nadra est lui-même en équilibre entre la vie et la mort. La grille/frontière est représentée ici par des espaliers d’acrobates. Ce sont les circassiens qui illustrent les doutes, les chutes, les dégringolades, les sentiments d’envol ou de vide. Outre l’aperçu de leur talent d’un point de vue extérieur, le public a l’occasion de s'immerger avec ses yeux dans les différentes acrobaties, au moyen d’une caméra fixée sur la tête de l’un d’eux. L’effet visuel est réussi.
Daral Shaga par Fabrice Murgia (© Hubert Amiel)
À leurs côtés, les chanteurs racontent les histoires, tant par la parole que par le chant. La musique n'est jouée que par trois musiciens, mais, virtuoses, ils emplissent la salle de cette partition inspirée du jazz, alternant morceaux instrumentaux et accompagnements de la voix. La musique suit une grille de base sur laquelle les musiciens peuvent improviser. Elle décrit l’ambiance et la tension qui monte au cours de l’histoire, faisant parfois penser à de la musique de film. En outre, elle participe intensément à la narration, comme dans l’hymne à la joie qui indique l’arrivée en Europe des migrants. Les chanteurs, parfois a cappella, transmettent avec force le message de ces hommes, de ces femmes. Bien que seulement trois, ils réussissent à créer des chœurs. Leurs voix s'accordent merveilleusement sur des notes chromatiques (une suite de demi-tons consécutifs) à l'air orientalisant. Michaela Riener interprète une Nadra émouvante. Sa voix de mezzo-soprano est claire et puissante, tout en étant emplie de fragilité -ressentie avec émotion dans la scène où elle supplie son père de se lever. Le père est interprété par Maciej Straburzynski, à la fois basse en voix de poitrine et contre-ténor en voix de tête. Sa voix de basse lui donne l’autorité et la sagesse de l’âge, renforcée d'une large palette de sensibilités et d’authenticité lorsqu’il chante les notes de contre-ténor. Le baryton Tiemo Wang interprète quant à lui le dernier protagoniste. Il réussit à faire des effets de voix à l’orientale et chante avec puissance cette histoire. Les voix sont ainsi le quatrième instrument de l’orchestre et son vecteur d’émotions. Largement applaudie, Daral Shaga reçoit même une ovation du public.
Daral Shaga par Fabrice Murgia (© Hubert Amiel)
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