À Lyon, Une nuit à Venise enlevée et colorée
Johann Strauss fils, le maître de l’opérette viennoise, compose Une nuit à Venise en 1883. L’intrigue complexe, mais heureusement retravaillée par Erich Korngold et Ernst Marischka en 1923, suit un puissant Duc napolitain passant comme chaque année la nuit du Carnaval à Venise. Séduit l’année précédente par la femme d’un sénateur, Barbara, qui était toutefois restée masquée, le séducteur invétéré tente en vain de profiter de sa venue pour la conquérir.
Une nuit à Venise par Peter Langdal (© Stofleth)
La mise en scène de Peter Langdal place l’histoire dans un univers fantasmé dont l'esthétique est empruntée au pop art et à son principal représentant, Andy Warhol. La scénographie d’Ashley Martin-Davis est ainsi très colorée et comme sortie d’un dessin animé, avec son décor penché et ses couleurs, ses costumes (signés Karin Betz) très année 70 et ses formes géométriques. Huit danseurs ont la charge d’assurer le spectacle. Ils apparaissent d’abord durant l’ouverture, dansant sur les valses viennoises qui la constituent. Les quatre danseuses sont habillées à l’identique, avec les mêmes perruques blondes, telles quatre clones, les quatre hommes étant vêtus en groom. Ils courent, sautent et retombent en grand écart, sur des chorégraphies modernes et enjouées de Peter Friis. Un acrobate impressionne à chacune de ses interventions, notamment lorsqu’il s’allonge à plat vendre trente centimètres au-dessus du canapé, simplement porté par un bras ! Le rythme est effréné et ne laisse aucun répit au spectateur dont l’attention est constamment mobilisée.
Le Duc Guido bénéficie de l’interprétation de Lothar Odinius (qui participera bientôt à la production attendue du Retour d’Ulysse dans sa patrie au TCE - réservations ici). Sa voix claire et fortement vibrée est bien ancrée et laisse place à une jolie voix de tête dans sa première aria. Il tient le rôle principal avec un passionnant goût du jeu théâtral et une parfaite musicalité. Lorsque cet interprète du rôle de Don Giovanni de Mozart met en avant son caractère séducteur, sa voix se fait chaude et suave.
Lohar Odinius dans Une nuit à Venise (© Stofleth)
Au centre de l’intrigue se trouve Annina, la belle-sœur de Barbara et vendeuse de poisson de son état, ainsi que son amant Caramello, qui se trouve être le barbier du Duc. Evelin Novak et Matthias Klink, deux spécialistes du répertoire allemand, interprètent ces personnages. La première dispose d’une voix parfaitement posée seyant à son jeu scénique peignant une femme à la fois noble et coquette. Ses aigus sont soyeux et puissants, montant à des altitudes vertigineuses. Son vibrato est léger et régulier et son phrasé travaillé. Le second dispose d’un timbre agréable, grave et légèrement cuivré. Il fait face à des problèmes de projection durant ses premières interventions, qu’il parvient à régler dans la seconde partie. Lorsqu’il chante sa sérénade, il montre de beaux aigus émis depuis le larynx, ce qui leur apporte une rondeur appréciable. Le chant se fait alors doux et caressant, mais il sait aussi se montrer flamboyant ou parodique, selon les exigences de l’intrigue.
Une nuit à Venise par Peter Langdal (© Stofleth)
Un second couple trouve une position centrale dans l’intrigue : un cuisinier italien et sa fiancée qui n’est autre que la bonne d’Annina, Pappacoda et Ciboletta, interprétés respectivement par Jeffrey Treganza et Jasmina Sakr. Le premier est porté par une énergie phénoménale et un immense sourire, digne d’une publicité pour un dentifrice. Ses médiums pleins d’éclat se perdent parfois dans l’action, lorsque, fringant, il danse avec son poivrier géant, par exemple. La seconde livre une interprétation de soubrette typique, pimpante, piquante et friponne. La voix est plus profonde et plus riche que ne l’exige le personnage et donne envie de l’entendre dans d’autres répertoires. Ils livrent ensemble de beaux duos, le dernier mettant en valeur leur débit intense ne nuisant pas à la qualité de leur prononciation.
Enfin, Caroline MacPhie incarne une Barbara polissonne aux aigus très clairs et très légers. Bonko Karadjov est son neveu et amant, Enrico. Sa voix est grave et profonde, joliment vibrée et puissamment projetée.
Daniele Rustioni (© Davide Cerati)
Le jeune chef italien Daniele Rustioni (qui dirigera Rigoletto en mai à l’Opéra de Paris - suivez ce lien pour réserver) est à la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, qui donne de l’allant à la partition de Strauss sans forcer les variations de tempi, comme cela peut être le cas parfois. Le sourire aux lèvres, manifestement heureux de participer à la fête qui est donnée sur scène, il interagit avec les chanteurs (il apporte par exemple une cagette de poissons à Annina) et sautille pour encourager les musiciens à maintenir le rythme du spectacle. Le chœur de l’Opéra de Lyon offre une prestation haute en couleur (notamment lorsque ses chanteurs dévalisent le palais du Duc, portant des masques de cambrioleurs) mais très nuancée, au diapason du reste de la production.
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