Rusalka à Metz, l’amour au-delà des éléments
La mise en scène signée par le directeur de la maison lyrique messine, Paul-Émile Fourny (re)place comme il l'explique -dans le programme- l'histoire et l'opéra dans ses contextes : “J’avais envie d’un monde marin et terrien dont l’histoire se passerait au début du XXe siècle, époque de la création de l'œuvre”. Le plateau se construit ainsi sur cette opposition dans l'œuvre entre le terrestre et l’aquatique, l’homme et les naïades, le réel et l’imaginaire. Cette idée est appuyée par les décors d'Emmanuelle Favre, qui renforcent également la transposition historique : la maquette d'un Casino abandonné apparaît au loin, celui de Constanţa au bord la Mer Noire en Roumanie, dans lequel l'intrigue sera plongée au deuxième acte, dans un univers figé au début du XXe (comme l'est effectivement ce casino qu'a repéré le metteur en scène). Ce Casino en ruine est ici le Palais du Prince, soulignant encore davantage sa décrépitude morale face à la pureté de l'ondine Rusalka (qui apporte néanmoins la lumière des tons bleus de l'univers marin). Patrick Méeüs aux lumières prolonge cette plongée dans les tons froids avec des couleurs plus chaudes pour signifier la terre, et les opposent quand nécessaire (donnant aussi l'illusion d'une immersion sous-marine par des projections sur le sol mais aussi sur une toile noire semi transparente au devant de la scène, et ceci dès l’ouverture instrumentale de l’opéra).
Les costumes ne dérogent pas à la règle signifiante des couleurs. Giovanna Fiorentini habille les êtres aquatiques avec des robes découpées et garnies de paillettes pour imager les queues et écailles. Les humains sont en habits à la mode du début du XXe siècle et souvent rattachés au noir comme pour imager le destin funèbre qui les habite.
Les chorégraphies d'Alba Castillo et Bryan Arias (co-fondateurs de la compagnie “Snorkel Rabbit”, actuellement en résidence à l’Opéra de Massy) occupent l’espace et se déploient de manière ample. Le Ballet de l’Opéra-Théâtre de l'Eurométropole de Metz sous les consignes de la cheffe Laurence Bolsigner-May et la Maîtresse de ballet Maud Wachter met en exergue la dualité des deux mondes, en figurant en scène un groupe féminin (marin) et un groupe masculin (terrestre).
La soprano Yana Kleyn propose une Rusalka pleine d’humanité et de sensibilité et plus particulièrement au moment de la fameuse chanson-prière à la Lune où son discours est dirigé vers le public. Brisant les frontières de la scène, les jambes suspendues au-dessus de l’orchestre, son timbre clair plonge l'auditoire et la salle dans une atmosphère aux intentions féeriques, de l’ordre de l’imaginaire, avec des aigus précis et cristallins. En place rythmiquement et avec une présence scénique appréciée (même lorsqu'elle sombre dans le mutisme), elle revient avec un timbre et un coffre plus large qu’au début comme si toutes les difficultés l’avaient faite passer de fille à femme.
Supportée par son père, Vodnik (l’esprit des eaux), interprété par In-Sung Sim, le contraste entre la soprano et la basse est flagrant. Le paternalisme de celui-ci se ressent autant dans son interprétation que dans son timbre mûr, présent et légèrement feutré dans les moments de partage avec sa fille. Il incarne la force et le démontre à travers une stature toujours droite et solide, position favorable au déploiement d’un volume sonore considérable soutenant des graves qui ne s’effacent pas.
Le ténor Milen Bozhkov fait preuve d’une maîtrise assurée de sa ligne vocale et des intervalles phrasés. Son timbre brillant et aéré rend compte de son statut de jeune prince. L'énergie est au rendez-vous, et s’adapte suivant la teneur dramatique du texte et de la situation, entre son amour pour Rusalka et son désir pour la princesse étrangère, avec de justes interactions.
La princesse venue tenter le prince est jouée par Irina Stopina. Elle fait vibrer son soprano appuyé avec puissance dans un registre entre lyrique et dramatique. Elle ne se laisse pas avaler par les cuivres de l’orchestre et affirme une ligne sonore vibrée dans les aigus. Son jeu scénique laisse entrevoir la manipulation dont (r)use son personnage.
Jezibaba, sorcière emblématique du conte, incarnée par Emanuela Pascu se dévoile au fil de l’opéra. Le contraste entre ses intensités sonores se ressent, les volumes intenses sont colorés mais les nuances mesurées sont légèrement trop faibles. La mezzo présente nonobstant un texte bien articulé avec des longueurs de phrase tenues illustrant sa capacité de souffle.
Marie-Camille Vaquié-Depraz (soprano), Rose Naggar-Tremblay (mezzo-soprano) et Lidija Jovanovic (contralto) interprètent les naïades/nymphes tout en légèreté. Leur trio mêlant le timbre rond de la troisième, celui plus sombre de la seconde et le chaleureux de la première fonctionne dans un bon équilibre.
Le duo formé par Lamia Beuque (le garçon de cuisine) et Matthieu Lécroart (garde chasse-chasseur) s’entend très bien sur scène (dans tous les sens). La légèreté de leur jeu amène en outre une pointe d’humour à cette histoire d’amour dramatique. La tessiture de Lamia Beuque (mezzo-soprano) lui permet de jouer aisément ce rôle de jeune garçon face à son oncle le chasseur baryton. Ce contraste instaure entre les deux ce rapport de subordination qui ne dure pas longtemps face à la peur commune de la sorcière Jezibaba.
L’Orchestre national de Metz Grand Est, dirigé par Kaspar Zehnder propose également les oppositions caractéristiques de cette œuvre, notamment entre des cuivres conséquents, et la part onirique de la harpe (placée au balcon) et des cordes frottées, le tout avec un triangle relativement présent. La fosse répond au dynamisme de la direction, nécessaire pour cette œuvre, sans perdre pour autant l’intention expressive des passages lyriques. Le Chœur maison intervient tantôt en coulisses tantôt sur scène apportant une profondeur à la scène.
Cette soirée de première se conclut sur d'enthousiastes applaudissements du public. Si l’amour n’aura toujours pas triomphé pour Rusalka, l'intemporalité toujours actuelle de son destin continue de s'imposer et de traverser cette mise en scène et les époques.