Festival de Printemps des Arts Florissants : 100% Pur-Cell
Le Festival ayant été créé aussi pour redynamiser les églises de Sud-Vendée, une sélection de ses œuvres adaptées aux lieux s’impose. Exit donc, les opéras, chansons profanes et autres masques. Les mélodies seront sacrées, ou instrumentales. Certains concerts sont réservés à Purcell, d’autres font également la part belle à ses contemporains (à retrouver dans notre second article).
Les concerts des deux premières soirées sont consacrés respectivement aux Anthems et aux Hymns, qui se réunissent par le génie de Purcell, nonobstant des origines opposées (Anthem renvoie à Anti-Hymne, avec une musique antiphonée désignant des hymnes qui se répondent). Les concerts se répondent ainsi, comme se répondent les lieux et les co-directeurs des Arts Florissants.
C’est à la cathédrale de Luçon que le cardinal de Richelieu reçut son premier évêché. William Christie étant également connu pour son habitude de porter des chaussettes cardinalices lors des concerts, l’ouverture du Festival dans la cathédrale revêt ainsi des allures de clin d'œil historique.
Mais, en ce premier soir, la direction est confiée au co-directeur Paul Agnew qui assure le programme des anthems. Sa conduite privilégie la souplesse et la délicatesse et, quoique sans ampleur gestuelle, est fort précise. Ce choix a l’avantage de ne pas recouvrir les musiciens, trois fois moins nombreux que les chœurs, qui répondent d’ailleurs au doigt et à l’œil à la direction du chef. Remarqué de constance, le pupitre des basses se distingue particulièrement dans l’extrême grave, profond et chaud. Quelques subreptices manques de synchronisation pénalisent le rendu de certains silences, mais le Blow up the Trumpet in Sion, nonobstant ses redoutables facéties rythmiques, est d’une précision remarquée. De même, le Thou knowest Lord the secrets of our hearts est hors du temps.
Parmi les six musiciens accompagnant les chanteurs, la jeune garde de William Christie est à l'honneur, avec notamment Thomas Dunford, mais aussi Augusta McKay Lodge –ayant intégré la formation après son passage à Juilliard School avec laquelle l'ensemble vendéen compagnonne également– et d'anciens stagiaires des Arts Flo Juniors, alter ego instrumental du Jardin des Voix. Les musiciens, rompus à l’exercice, ne nécessitent évidemment aucune direction dans les parties instrumentales. Leur recueillement dans les passages a cappella, durant lesquels tous ou presque ont les yeux fermés, est noté.
Simple fait légèrement dommageable au rendu d’ensemble, la hauteur des voûtes du chœur (25 mètres), et la longueur intérieure de l’édifice (67,5 mètres), sont assurément bien supérieures à celles de la Chapelle Royale de Whitehall pour laquelle certaines de ces œuvres furent écrites. Dès lors, certaines des nuances se perdent dans l’immensité acoustique du lieu. Cet obstacle n’empêche toutefois pas à la phalange de livrer un Man that is born of a woman tout en variation d’intensité, et de redonner en bis, le Miserere Mei, pour le plus grand plaisir de l’assistance.
Le concert de clôture est donné dans l’église de Chantonnay –acoustiquement parfaitement calibrée– et alterne entre les fantaisies à 4 de Purcell pour violes de gambe, et ses sonates pour deux violons, orgue et basse de viole de gambe. Par trois fois, à trois fantaisies devaient succéder une sonate en trois parties, mais un accident de corde de l’alto de viole de gambe à l’ultime fantaisie, impose une légère modification de ce programme. Le programme, pensé par Paul Agnew, a ainsi vocation à mettre en contraste les pièces de viole, instrument déjà ancien à la fin du XVIIème siècle et le violon baroque. À la tête du quartet violistique, Myriam Rignol –certes rompue à l’exercice avec son ensemble Les Timbres– se distingue par son engagement physique ainsi que son empathie exacerbée envers ses congénères : le rendu des quatre violistes est remarqué tant de cohérence que d’harmonie, y compris dans les plus grands périls de la Fantaisie en la mineur.
Augusta McKay Lodge et Florian Carré (évoqué plus amplement dans le second article) sont rejoints par Tami Troman, violon solo régulier des Arts Florissants. Son engagement physique, à l’instar de Myriam Rignol est également remarqué –Augusta McKay Lodge, porte ce soir-là des lunettes, et ne peut effectuer des mouvements abdominaux d’une même ampleur, et doit par moment subrepticement les remonter. Le Largo de la Sonate n°9 en do mineur empreint de délicatesse et d’intelligence musicale, distille une émotion palpable dans l’auditoire. En bis, est donné l'In Nomine de la Messe de Benedictus de Tavernier, qui a l’avantage de réunir l’ensemble des instrumentistes et exige également un chanteur. Paul Agnew, jusque-là spectateur et présentateur se prête au jeu, bien que n’ayant pas fait de chauffe et ayant une tessiture sensiblement trop aigüe : trop reculé, il tend à être recouvert par la phalange.
Un compte-rendu exhaustif de ce Festival ne saurait toutefois être résumé à une série de concerts, tant l’impact des Arts Florissants en Vendée va visiblement au-delà de la musique. Les concerts sont interpolés de visites à Thiré, dans les jardins de William Christie, au sein desquels se déroule le Festival d’été. Les déambulations dans le village permettent également d’y mesurer l’impact du fondateur, puisque ce sont désormais 14 bâtisses, refaites ou en cours de réfection, qui y constituent l’infrastructure de la formation. Certaines ayant d’ailleurs vocation à permettre prochainement des résidences artistiques à l’année dans Thiré.
Car c’est finalement en discutant davantage avec divers personnages, croisés durant ces trois jours, qu’il appert combien chacun a une histoire à raconter sur sa relation avec la formation et/ou son fondateur. Il y a Anne et Jean-François, amis du Festival ayant rencontré William Christie il y a près de quarante ans, et qui ont découvert à travers lui Agnès Mellon, Philippe Cantor et toute une génération d’artistes. Il y a Virginie, membre des chœurs, ayant rejoint la formation quasiment dès sa sortie de conservatoire et ne l’ayant plus quittée depuis. Matthieu, architecte en charge de la rénovation des bâtiments et dont le premier disque de classique fut Didon et Enée, dirigé par William Christie. Laurent, mécène ayant découvert l’existence du Festival après sa mutation en Vendée et n’en loupant plus une seule édition depuis. Marie-José, simple spectatrice nantaise ayant découvert le baroque au détour d’un des concerts des Arts Florissants et ne loupant plus une édition non plus. Martine, ancienne cadre dirigeant de l’Opéra de Paris œuvrant désormais au sein de la Fondation des Arts Florissants, et tant d’autres. Tous partagent ce lien avec une formation, qui prépare désormais la prochaine édition de son festival d’été. Gageons que cette dernière vaudra elle aussi le déplacement.
Retrouvez la suite dans notre second article ainsi qu'un autre voyage en contrepoint à travers ce Festival, sur notre autre site