Le Turc en Italie en Avignon
La mise en scène du Directeur des Chorégies d'Orange, ex-Directeur de l'Opéra monégasque, est à la fois moderne et à l'image de cette œuvre : pleine d’humour, classique et très dynamique. Le spectacle s'ouvre par une courte vidéo, présentant les protagonistes à l'image d'un film de Chaplin en noir et blanc et muet. Le ton est ainsi donné d'une mise en abyme : d'un film tourné (qui aura même pour décor le Vésuve projeté). L'action tourne et roule ainsi, débordant même jusqu'au chef et à la salle, dans un mouvement tout Rossinien et commedia dell'arte.
Les décors de Rudy Sabounghi servent ce propos, en un entrepôt qui devient port grâce au mouvement de tissus représentant des vagues. Le résultat est harmonieux avec les costumes (signés Jorge Jara) et les lumières (Laurent Castaingt) qui ne manquent pas de couleurs, d'extravagance et de créativité dans un style carnavalesque, permettant au public de distinguer facilement les personnages (notamment les italiens des turcs).
Très à l’aise dans son personnage (interprété également à l’Opéra de Liège, en octobre dernier), Guido Loconsolo s'impose en Selim, séducteur venu des terres lointaines, avec une voix grave au timbre velouté. Son émission remplit facilement la salle, de sa voix sûre, précise et agile, avec une ligne de chant très claire.
Succédant dans ce rôle de Fiorilla dans cette production à Cecilia Bartoli, la soprano Florina Ilie sait cacher le fait qu'elle est encore légèrement souffrante. Elle fait montre d’une grande maîtrise de son instrument, avec une voix claire, débordant d’agilité et de la virtuosité belcantiste, notamment par ses aigus étincelants. Elle sait se montrer dynamique et drôle, autant que sensible et touchante, lorsqu’elle se retrouve abandonnée par son mari et exprime son repentir. Le baryton Gabriele Ribis interprète le mari attachant, Don Geronio, se démarquant grâce à l'alliage d’une voix grave, précise et bien projetée, avec un texte placé et clair.
Le ténor Patrick Kabongo offre à l’amoureux de Fiorilla, Don Narciso, sa voix brillante aux aigus soutenus. Même si son personnage ne peut pas vraiment s'appuyer sur de grands passages comiques, il sait captiver le public par son dynamisme et son élégance.
Omniprésent, le poète Prosdocimo est interprété par le baryton-basse Giovanni Romeo. Son jeu d'acteur, lui aussi cinématographique, attachant, comique et touchant rappelle qu'il connaît lui aussi cette production (pour l'avoir chantée à Monaco et Vienne). À l’instar de ses collègues, il allie instrument et jeu. Sa voix mélodieuse aux graves charnus est homogène et projetée. Habituée à être dans cette production à ses côtés, la mezzo-soprano italienne Josè Maria Lo Monaco incarne à nouveau la jeune Zaïda, bohémienne et ancienne amante de Selim. Son timbre chaud et velouté s'accompagne d’un vibrato doux. L'élégance et la finesse sont au service du jeu comme des vocalises, d'agréables aigus à des graves ardents. Enfin, son confident Albazar est interprété par le jeune ténor Blaise Rantoanina, déjà habitué de l’Opéra Grand Avignon. Sa voix claire et souple sert sa ligne de chant et son énergie débordante.
L’Orchestre National Avignon-Provence et le Chœur de l’Opéra Grand Avignon sont dirigés par le chef brésilien Miguel Campos Neto qui se montre très dynamique, expressif et engagé. Il déploie de grands gestes tout en restant attentif aux chanteurs (même lorsqu’ils descendent au niveau du public, derrière lui). Il ne parvient cependant pas à éviter quelques petits décalages au début, mais la masse sonore conséquente reprend bientôt ses droits, soutenant la scène sans couvrir les solistes. La fosse assure alors les rapides changements de tempi et de nuances demandés par la partition et le chef, traduisant aussi efficacement les moments de solennité. Le Chœur de l'Opéra (préparé par Aurore Marchand) corrige aussi promptement des déséquilibres pour proposer un effet de groupe homogène. Enfin, la cheffe de chant Bertille Monsellier contribue également au bon déroulement du spectacle, accompagnant les récitatifs au pianoforte depuis la fosse et ajoutant quelques petites touches un peu satiriques.
Le public applaudit les artistes pendant de longues minutes avec beaucoup d’enthousiasme, tant et si bien que le chef offre le dernier ensemble en bis, dirigeant l’orchestre depuis le plateau.