À Bordeaux, Pygmalion avance d'un pas sur Les Chemins de Bach
Bach, l’Européen
Le XVIIème siècle, baroque, fut une période de grande accélération des échanges entre les musiciens et compositeurs européens. Par l’essor commercial et technique de l’imprimerie, les partitions circulent intensément. À l’image de Lully, les talents voyagent, annonçant l’époque des premières “tournées” à l’échelle du continent. Avant de courir les salles aux Pays-Bas (Amsterdam) et en Allemagne (Hambourg), ainsi qu'à la Philharmonie de Paris, l’Ensemble Pygmalion a choisi de réserver la primeur de ces “Chemins de Bach n°2 : Les Maîtres” à l’Opéra de Bordeaux où il est en résidence. Un programme justement dédié à ce que Jean-Sébastien Bach a appris de compositeurs l'ayant précédé et/ou venus d’ailleurs. S’y retrouvent pêle-mêle le français Lully, les italiens Monteverdi et Carissimi, au milieu de certains grands noms de la musique allemande de tradition catholique et protestante : Praetorius, Böhm ou Schütz, notamment. Le tout évidemment conclu par une œuvre du maître par excellence : la cantate BWV 150 “Nach dir, Herr, verlanget mich” (Vers toi, Seigneur, j'aspire).
Cette grande variété de styles et d’époque permet à l’Ensemble Pygmalion de faire montre de sa maîtrise des esthétiques, passant d’une musique française de pur caractère à un motet allemand en un clin d’œil, dans le rythme soutenu par Raphaël Pichon qui fait le choix d’enchaîner, dans le même geste, coupures et levées. Les applaudissements sont réservés pour la fin des première et deuxième parties. Ce qui peut passer pour un détail est, en vérité, une des clés de ce programme, car le résultat est d’une grande fluidité. Le programme n’est plus une liste d'œuvres couchées sur le papier : il est une imbrication savante de ruptures et de continuités. Les près de deux heures de concert passent sans jamais que l’attention ne se relâche.
Dans cette grande variété de genres et d’esthétiques, l’équipe de solistes constituée par Raphaël Pichon prouve que le réservoir de talents issus du chœur de Pygmalion est large. Parmi eux, se retrouvent des incontournables, à commencer par la soprano Maïlys de Villoutreys dont la courte intervention dans la cantate de Bach est d’une grande justesse musicale. Son timbre volontairement éclairci est capable de passer du solo à l’ensemble avec une grande facilité.
La voix de ténor cristalline de Zachary Wilder sert le répertoire français par sa diction impeccable, la légèreté de sa technique mixte appuyée lui permettant d’atteindre des aigus d’une grande délicatesse, et d’offrir un moment particulièrement touchant du programme. Il en va de même pour l’Historia di Jephte de Carissimi, court oratorio qui raconte le sacrifice d’une jeune princesse pour assurer la victoire à sa patrie. La princesse est incarnée par Céline Scheen particulièrement investie. La voix et l’attitude générale sont peut-être un peu lyriques pour le répertoire, mais la puissance d’interprétation est incontestable. Son dialogue de part et d’autre de l’orchestre avec Tomáš Král lance le tour tragique que prend la pièce. Le baryton est sans doute le plus impressionnant vocalement. Toutes ses interventions, seul ou en ensemble, sont l’occasion de faire entendre son timbre qui ne sacrifie pas la clarté à la puissance. Une qualité rare pour les voix graves, surtout dans ce répertoire.
Son alter-ego Renaud Bres, moins impressionnant qu’à l’accoutumée, semble un peu en-dedans (peut-être souffrant). William Shelton et Perrine Devillers complètent l’ensemble de ce plateau riche de voix solistes, avec des interventions plus discrètes, mais pas moins à-propos.
Un ensemble fidèle à lui-même
Le Chœur Pygmalion est extrêmement juste et clair dans l’enchaînement des pièces, avec un soin tout particulier apporté aux accords finaux (notamment dans le Beatus Vir de Monteverdi), qui donnent un grand relief à ce répertoire. L’Orchestre, construit autour d’une basse continue d’une belle stabilité, demeure très réactif aux impulsions de leur chef, qui avait visiblement bien préparé ses musiciens aux enchaînements rapides et aux ruptures stylistiques.
Dans ce voyage étourdissant, l’ensemble maintient sa cohésion, à l'aise tout le concert durant. Le public très nombreux (en témoigne la file interminable pour la billetterie de dernière minute) venu saluer cet ensemble fidèle à sa ville d’adoption, exprime son affection dans de longs et chaleureux applaudissements... avant de reprendre Les Chemins de Bach.
Retrouvez notre compte-rendu du premier de ces concerts sur Les Chemins de Bach et rendez-vous sur Ôlyrix pour le troisième