Romantisme allemand au Théâtre des Champs-Élysées avec Marina et Lorenzo Viotti
Le jeune Lorenzo Viotti prend comme à son habitude le micro en début de concert, pour parler aux spectateurs de ce qu'ils vont entendre et leur donner des clés nécessaires pour la compréhension des œuvres. Il le fait avec beaucoup de pédagogie et de simplicité, partageant sans détours sa passion visible pour le programme : un ordre chronologique inversé fait passer de la Passacaille d'Anton Webern aux Rückert Lieder de Gustav Mahler avant de conclure avec la Symphonie n°2 de Johannes Brahms. Une façon de vivre à rebours 30 ans de musique allemande, de la fin du romantisme à l'expressionnisme, sans oublier le post-romantisme. Le chef raconte également comment Matthias Goerne, souffrant, l'a prévenu la veille au soir de son désistement et comment sa sœur Marina (nommée cette année aux Victoires de la Musique Classique dans la catégorie Artiste Lyrique) a accepté de monter sur scène à sa place au lieu d'assister au concert en spectatrice.
L'énergie et la fraîcheur de Lorenzo Viotti, sa passion et son charisme insufflent une joie musicale au concert tout entier, joie partagée visiblement par l'orchestre néerlandais, dont la sonorité aussi soyeuse que flamboyante ne faiblit à aucun moment. L’écoute et le dialogue entre tous les pupitres confèrent à l'ensemble une grande homogénéité sans toutefois y perdre la spécificité et le timbre de chaque section de l'orchestre. L'interprétation de la Passacaille est aussi dramatique que sensible et tourmentée, mais aussi emplie d'une "poésie infinie" pour reprendre les mots du chef.
Dans le cycle de Lieder de Mahler, la mise en place avec Marina Viotti (qui retrouve cette scène peu après La Périchole d'Offenbach) est parfois fragile, la chanteuse n'étant apparemment pas complètement à l'aise dans cette œuvre délicate et ayant de toute évidence eu très peu de temps pour répéter. Le chef, très à l'écoute, met tout en œuvre pour unir la voix et l'orchestre et y parvient, les musiciens offrant des instants de grâce suspendue, des nuances à couper le souffle, des moments de tendresse. Vocalement, Marina Viotti sait allier technique et naturel, jamais dans la démonstration, chaque son étant à la fois parfaitement libre et maîtrisé. Si elle a parfois du mal à sortir de la partition, elle est malgré tout très habitée et sa musicalité s’épanouit ainsi que sa voix. Les aigus sont soyeux, le registre de poitrine suave et sans artifice, la diction précise, et la mezzo-soprano, capable également de nuances rares, sait mettre toutes ces qualités au service de la musique. Après l’extinction de la dernière note du dernier Lied, Lorenzo Viotti maintient le silence aussi longtemps que possible avant les applaudissements, le souffle de chaque spectateur restant suspendu au bras du chef.
Pour conclure, l'orchestre offre la Deuxième Symphonie de Brahms qu'il peint avec une joie presque enfantine réunissant nature, danse, fêtes, poésie, feux d'artifice dans quatre tableaux musicaux pleins de vie. Mais le chef et ses musiciens ont également préparé deux jolies surprises : un moment de recueillement avec l'Ave Verum Corpus de Mozart joué par quatre aux pupitres de cordes et chanté par tous les autres musiciens (dont le chef lui-même), et la première Danse hongroise de Brahms, si vigoureuse et enlevée que les musiciens semblent sur le point de s'éjecter de leurs chaises.
Les Viotti, sœur et frère ont assurément su charmer le public parisien conquis par cette belle soirée.