La Somnambule, onirique danseuse à l’Opéra de Liège
Même dans le sommeil, mon cœur te verra”
Première protagoniste à entrer en scène, Lisa (interprétée par la soprano Marina Monzó), lassée de l’admiration portée à la villageoise Amina, se languit d’une voix claire. Cette clarté sera appréciée tout au long de la pièce, malgré le ton pressé du personnage. La soliste, qui se produit pour la première fois sur la scène liégeoise, passe aisément d’un air dramatique à plus de légèreté. Lors de sa plainte, son “double” se met à danser sur un grand trampoline carré qui lui sert de scène.
Les solistes ont ainsi chacun au moins un double qui ne s’exprime pas par la voix, mais bien par la danse (un effet très admiré du public). La chorégraphe Michèle Anne de Mey, les danseurs et danseuses retranscrivent ainsi à travers des danses et acrobaties aussi sensibles que comiques les émotions des protagonistes.
Ce sont ces mêmes mouvements qui, mêlés aux vidéos de Giacinto Caponio avec ses projections fantomatiques ainsi qu’à l’arrangement lumineux de Nicolas Olivier, semblent défier toute gravité, symbolisant le flottement d’un monde onirique. Impression de flottement d’ailleurs renforcée par les teintes apaisantes des costumes imaginés par Fernand Ruiz.
Dans cet univers où onirique rime avec acrobatique, Amina, éperdument amoureuse d’Elvino (René Barbera) et accusée à tort d’adultère après une crise de somnambulisme, a la voix de la soprano Jessica Pratt, incarnant ce mélange d'amour désespéré. La voix est d'abord voilée et hésitante, la soliste gagnant ensuite en puissance et recevant les applaudissements réguliers de la salle. Elle joue beaucoup de -et sur- son vibrato, variant les amplitudes et les vitesses. Le jeu d'actrice sobre et épuré mais non moins gracieux intensifie d’autant plus cette performance vocale haute en couleurs.
Elle partage sa puissance avec René Barbera, qui offre dès les premières notes un bel canto maîtrisé. Sa justesse et son expressivité lui permettent d’incarner un Elvino tantôt passionnément amoureux, tantôt jaloux et blessé avec une force touchante. Le ténor déploie une voix aussi colorée que celle de sa partenaire de scène et lui chante d’ailleurs ses sentiments à travers une ligne vocale parfaitement articulée : ses longues et riches phrases sont, à l'image de ce duo, rapidement appréciées et applaudies par le public.
Dans un autre registre, Marko Mimica offre une voix de baryton-basse directement assumée et très puissante. Son timbre enveloppant reflète le côté séducteur mais bienveillant du Comte Rodolfo. Sa force tranquille est caractérisée par l’agilité et la chaleur de son chant.
Ugo Rabec interprète le rôle d’Alessio, l’amoureux frustré de Lisa. Si au départ sa voix se fait peu puissante et est souvent couverte par l’orchestre, la basse chaude du soliste prend par la suite une audibilité plus appréciable. Les apparitions du personnage restent cependant rares et effacées.
La mezzo-soprano Julie Bailly apparaît ici dans le rôle de Teresa, mère d’Amina, douce et aimante. Sa voix se fait rare lors du premier acte, où elle chante principalement en même temps que le chœur, mais cette tendresse est exprimée à travers de très justes et émouvants duos aux côtés de Jessica Pratt. L’artiste belge s’illustre en effet plutôt au cours du deuxième acte, avec de courtes interventions vocales au volume peu homogène, mais au timbre toujours riche.
Benoît Delvaux fait entendre une voix hachée et presque parlée lors d’une brève apparition dans le rôle d’un Notaire. Les membres du Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège sont répartis de chaque côté de l’espace où les danseurs et danseuses se produisent. Quasiment présents tout au long des deux actes, ils incarnent une masse de villageois mais les voix se font aussi limpides et aériennes que les acrobaties prenant place entre elles.
Le chef Giampaolo Bisanti dirige l'Orchestre maison dans le respect d’une partition qui laisse surtout la place au lyrisme des solistes. Les musiciens accompagnent les performances scéniques en restant justes et simples. Si l’orchestre se fait en effet assez discret par rapport au foisonnement présent sur scène, sa musique n’en est pas moins indispensable pour contribuer à redonner de la légèreté au tableau, même dans les moments les plus inquiétants.
Qu’il s’agisse de musique, de chant, de chorégraphie ou encore de cinématographie, la production liégeoise stimule ainsi tous les sens de l'assistance. Cette première de La sonnambula reçoit une standing ovation aux “brava!” intarissables.