À Montpellier, La Flûte enchantée 50% Tamino, 50% Nintendo et 100% accessible
Il est communément admis que La Flûte enchantée de Mozart est un des opéras les plus accessibles aux enfants et adolescents pour leur faire découvrir le genre. Pour autant, les productions ne semblent jamais se baser sur les références qui leur sont propres. C’est toutefois chose faite avec cette Flûte enchantée qui puise ses références dans les franchises cinématographiques grand public, les jeux-vidéos (nous avons testé en avant-première celui qui a été spécifiquement créé pour l’occasion) et les mangas.

La quasi totalité de l’intrigue évolue sur un plateau rotatif représentant tour à tour une forêt jouxtant une montagne, une grotte puis l’intérieur d’un château aux allures d’It's a small world. Les palettes chromatiques ainsi que les designs d’Hannah Oellinger et Manfred Rainer donnent un rendu hybride, alternant entre une attraction de Disneyland et un décor de Final Fantasy. Le travail aux lumières d’Olaf Freese (déjà remarqué dans Salomé à l’Opéra Bastille), toujours millimétré et diablement efficace, vient renforcer cette impression. L’utilisation de la projection, également conçue par le tandem, pour le serpent, les épreuves ainsi que les divers effets spéciaux est particulièrement accomplie grâce une conception cohérente, une bonne synchronisation avec les acteurs et une utilisation intelligente des éléments scéniques comme support de projection. Elle apporte ainsi une réelle valeur ajoutée au rendu final.

Anna Bernreitner fait le choix de dialogues en français par moment modifiés et raccourcis par rapport à la version habituelle. Le résultat final n’en subit que peu d'impacts si ce n’est lors de la vision de Pamina par Tamino dont on ne sait plus pourquoi elle a lieu. Le personnage de la vieille femme disparait également au profit d’une Papagena grimée en Dindon, tandis que le cadavre du serpent est un asticot que le volatile Papageno s’empressera d’avaler. Point notable, l’ajout d’une tirade féministe à Pamina dans son dialogue avec Sarastro permet de contrebalancer les saillies misogynes de ce dernier et de conserver l’intégralité des parties chantées, trop souvent amendées dans les nouvelles productions et reprises, nonobstant le contenu du livret.

Dans la fosse, Constantin Trinks s’attache à faire ressortir les détails de la partition -tel par exemple le trop rarement audible solo de basson en parallèle de l’aria sarastrien- et mène l’Orchestre national Montpellier Occitanie avec clarté et entrain. Dès l’ouverture, les tempi lents de l’adagio font ressortir le caractère aérien et majestueux des accords initiaux avant de mettre en exergue toute l’espièglerie mozartienne de la fugue s’ensuivant. La timbale a certes une fraction de seconde d’avance à l’ouverture, et les trombones, légèrement surdosés en comparaison du reste, auront par deux mesures un effet légèrement décousu, mais l’ensemble demeure remarqué de précision dans les attaques et les silences. Assurément, la salle à l’italienne de l’Opéra Comédie et ses 1200 places présente les proportions idéales pour une phalange mozartienne, et lui permet de donner un rendu tout en relief, où chaque pupitre demeure toujours clair et distinct.
De même, le Chœur Opéra national Montpellier Occitanie dirigé par Noëlle Gény, tour à tour dans la fosse, hors scène et sur scène livre une performance millimétrée. Le résultat est toujours précis et percutant : éclatant quand il faut, d’outre tombe si nécessaire, empreint de relief et d’équilibre entre l’ensemble des pupitres.
Le Tamino du ténor Amitai Pati bénéficie de sa tessiture légère et d’harmoniques aigus pour offrir une projection idéalement calibrée au lieu. S'il se laisse à quelques occasions très légèrement recouvrir par l’orchestre, l’agilité de sa technique permet toutefois un rendu toujours précis dans les moments les plus vocalisant. Sur les notes plus étendues, la longueur de souffle et la projection sont impeccables.

Pour lui répondre, la Pamina de la soprano Athanasia Zöhrer a ici le pouvoir de commander la foudre et les nuages (à l’instar de la X-Men Tornade). Si sa tessiture dramatique lui confère une bonne projection et moult reliefs sur l’ensemble de son étendue, les aigus sont éclatants de lyrisme et jouissent d’une intensité de vibrato remarquable. Parfois légèrement en avance sur l’orchestre, la technique a toutefois des allures naturelles, et sa musicalité transperce l’auditorium par plusieurs moments, notamment dans le final de "Bei Männern, welche Liebe fühlen" (Un homme qui ressent l’amour) -où Papageno est plus en retrait qu’à l’accoutumée- ainsi que dans le "Bald prangt, den Morgen zu verkünden" (Bientôt le soleil resplendissant annonce le matin).

Le baryton Mikhail Timoshenko déploie des trésors d’engagement scénique, entre et pendant chaque passage chanté. Son Papageno a certes visuellement et intellectuellement des allures de volailles mais sa tessiture dramatique ainsi que la chaleur de son timbre lui permettent d’assurer une prestation constante, rythmiquement toujours en place, à la diction et aux voyelles claires (et ce nonobstant ses gesticulations sur le plateau ou dans les airs, suspendu par des câbles). Lors de sa menace de se suicider plutôt que de rester célibataire, la désintégration du décor à la manière de la scène finale d’Avengers Infinity War permet de se concentrer sur les aspects plus intimistes de sa palette dramatique.

La Reine de la nuit de Rainelle Krause impressionne par sa totale maitrise des vocalises dès son premier grand air. La tessiture est légère et, si les graves tendent à manquer de projection, les passages forte sont remarqués de lyrisme. Les vocalises, en dehors de deux notes attaquées légèrement par en dessous dans le fameux « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen » sont impeccables tant dans le rythme, la longueur de souffle que pour ce qui concerne l’intensité et la projection constante. Visuellement, elle offre des trésors de références. Suspendue devant une projection stellaire à la manière d’Amadeus, les astres se déformeront durant les parties vocalisantes à la manière d’un passage à la vitesse lumière dans Star Wars. Dans son aria en présence de Pamina, la mère et la fille se combattront à grand renfort d’éclairs, dans un rendu mi Dragon Ball Z, mi seigneur Sith.
En Sarastro, la basse In Sung Sim déploie toute la largesse de son timbre. Si la mise en place rythmique n’est pas systématiquement parfaite, la très bonne longueur de phrasé ainsi que la puissante profondeur des graves de sa tessiture lui permettent d’assoir sa présence scénique et d’assurer un rendu final en adéquation avec son personnage. À l’inverse, le Monostatos de Benoît Rameau, mi Beetlejuice mi Dr. Eggman (le méchant Robotnik ennemi de Sonic), déploie des trésors de précision dans les piani et met en exergue ses capacités vocalisantes. Toutefois il pêche légèrement par manque de projection de ses duos, mais compense par une bonne musicalité. L’orateur de Blaise Malaba est caractérisé par sa présence scénique naturelle et ses bonnes projections et articulation. Sa tessiture dramatique et ses harmoniques aigues lui permettent de rivaliser avec Tamino dans les duos sans se faire éclipser.
La Papagena de Norma Nahoun d’abord grimée en dindon, se révèle finalement être un flamand rose. Son duo avec Papageno, lui permet de déployer la rondeur de son timbre et sa tessiture dramatique ainsi qu’une bonne projection. À cela s’ajoute une excellente prononciation, une très bonne longueur de phrasé et musicalité. Dans l’hilarité générale, parlant de ses futurs enfants avec Papageno, des œufs s’échappent de sa coiffure à chaque fois qu’un nouveau petit sera envisagé, œufs avec lesquels Papageno s’amusera à jongler… pendant son aria.

Enfin, les trois dames incarnées respectivement par Claire de Sévigné, Cyrielle Ndjiki et Majdouline Zerari forment un ensemble cohérent et équilibré malgré une mise en scène vocalement périlleuse, où chaque phrase musicale est chorégraphiée et où elles ne portent qu’une seule robe à trois. La première est particulièrement remarquée pour le lyrisme de son timbre et la deuxième pour sa puissance dans ses solos, quitte à légèrement déséquilibrer l’ensemble lorsque la troisième à projection plus légère, quoique tout à fait honorable, prend le relai. Pour répondre à ce trio, les trois particulièrement jeunes génies encadrés par Laetitia Toulouse arriveront sur scène par un toboggan arc-en-ciel rappelant furieusement Mario Kart. Tout est en rythme, parfois légèrement déséquilibré mais d’une facture d’une étonnante qualité compte tenu de l’âge particulièrement juvénile du plus petit d’entre eux, qui ne semble pas avoir davantage que 7 ans. Les deux soldats de Hyoungsub Kim et Albert Alcaraz, membres du chœur, forment un duo cohérent avec une synchronisation impeccable et de bonnes longueurs de souffle, nonobstant une légère prédominance des harmoniques aigus.

Ce sont donc logiquement de chauds applaudissements qui saluent cette première performance, accompagnés d’une ovation debout partielle lors de l’arrivée de l’équipe de mise en scène. Conséquence logique de ce choix de l’accessibilité tant scénique que tarifaire -les places allant de 10€ à 50€-, le public est particulièrement jeune, familial, estudiantin et diversifié. Tous les codes ne sont pas forcément maitrisés -avec par deux reprises des applaudissements à la sortie d’un personnage alors que la musique n’est pas finie- mais les classes d’élèves sont parfaitement silencieuses, et chacun fait en sorte de ne pas tousser. De quoi se réjouir et être enchanté : entre cette démocratisation manifeste du lyrique et une série complète deux mois à l’avance.
