Déchirant Stabat Mater de Pergolèse au Théâtre des Champs-Elysées
Arrivant sur scène d’un pas décidé et vêtu d’un flamboyant costume couleur fraise écrasée, Bruno De Sá a déjà réalisé son effet sans avoir à ouvrir la bouche ! Ensuite, son interprétation en ouverture de programme du Gloria in Excelsis Deo de Georg Friedrich Haendel fait le reste. Bruno De Sá possède une voix se soprano très naturelle de timbre et de luminosité, déployant une technique vocale étonnante basée sur une virtuosité à toute épreuve, presque folle de facilité. Ce Gloria lui permet de déployer un art de la vocalise et du suraigu, du trille, totalement maîtrisés sans que pour autant la musicalité soit oubliée. Au Théâtre des Champs-Élysées, la projection vocale toutefois paraît un peu réservée, sauf au niveau des aigus émis avec éclat, et le registre grave un rien confidentiel. Mais la vitalité de l’artiste, son plaisir de transmettre rejaillissent sur un public acquis à sa cause et surtout heureux d’entendre un chant épanoui, facteur de pur plaisir en ces temps moroses.
Carlo Vistoli lui succède avec ce même bonheur et des moyens forts différents dans le très beau Motet Vos invito, barbarae faces d’Antonio Vivaldi. Avec un timbre profond, moiré, presque marbré par ses composantes et ses variétés de coloris, Carlo Vistoli capte lui aussi l’oreille par une virtuosité affirmée mêlée à un engagement de chaque instant. La ligne de chant apparaît fort belle, expressive et l’artiste ne néglige à aucun moment la part d’émotion dispensée par ce motet.
Composition ultime de Giovanni Battista Pergolesi, disparu prématurément à l’âge de 26 ans en 1736, le Stabat Mater fut qualifié de poème divin de la douleur par Vincenzo Bellini. Cette musique qui parle à l’âme évoque la douleur de la Vierge au pied de la Croix et la compassion du simple mortel pour cette douleur. En douze numéros successifs, se répartissant entre arias solistes et duos, cette musique alterne des phases infiniment religieuses, graves et d’autres stylistiquement plus proches de l’opéra pour se conclure sur le mot Amen bouleversant lors du duo final. Le recours à l’alliance d’un sopraniste et d’un contre-ténor pour l’exécution du Stabat Mater s'impose malgré (et grâce à) sa dimension nouvelle. L’intelligence des deux interprètes qui, loin de chercher à se mesurer, déploient une totale concordance dans leur approche et dans la cohésion de leur voix respective, impulse à l’œuvre toute sa dimension tragique et transcendantale. Bruno De Sá a troqué son costume de première partie pour un autre élégant et plus classique. Thibault Noally, placé ici non à la tête de son ensemble Les Accents, mais des cordes de l’Orchestre national d'Auvergne (et clavier), se démarque comme un autre artisan majeur de cette soirée placée sous le signe de l’émotion. Sa direction toujours très juste, mesurée et d’une sincérité communicative est particulièrement mise en valeur dans le Concerto pour violon "Il Grosso Mogul" de Vivaldi, dont Thibault Noally tient la partie de violon solo au sein d’un effectif de grande justesse et expression.
En bis, les interprètes donnent la version de Jean-Sébastien Bach de l’Amen final du Stabat Mater. Le public du Théâtre des Champs-Élysées qui affiche complet, réserve une juste ovation à l’ensemble des intervenants.