Le Barbier de Séville par Mariame Clément à Nancy pour les fêtes
Dévoilée en 2008 au Théâtre de la ville de Berne, reprise ensuite à Oviedo et à Tel Aviv, la mise en scène par Mariame Clément du Barbiere de Rossini (ici reprise par Jean-Michel Criqui) continue d’amuser et de réjouir les foules. Ce choix de l’Opéra national de Lorraine comme spectacle de fin d’année est à ce titre tout à fait pertinent, à en juger par les acclamations du public au moment des saluts.
De toute évidence, la metteure en scène prend le parti pris de souligner la composante bouffe du chef d’œuvre de Rossini, présenté ici comme une série de gags, canulars et effets comiques destinés à divertir le public. L’action se déroule dans un décor astucieux (de Julia Hansen), constitué d’un immense cube censé représenter tous les niveaux de la maison de Bartolo. Placée sur un plateau tournant, cette structure pour le moins massive donne accès aux espaces publics et privés de la maison du « docteur », de la chambrette de la petite Rosine, allongée sur son lit et occupée à s’épiler les jambes ou à écouter de la musique pop sur son baladeur, à la salle d’attente gérée par l’assistante Berta dans laquelle patientent les clients de Bartolo, transformé pour le coup en dentiste des années 1950-60.

L’esthétique qui marque les abords de ce cube quasi carcéral pourrait rappeler celle de l’Italie néo-réaliste des années 50 avec son cortège d’individus en mal de repères, vagabonds, sans papiers et sans abris, sur lesquels Figaro semble régner en maître. De même, la décoration de la maison de Bartolo pourrait évoquer les années yéyé, ce qui permet de recontextualiser l’insubordination d’une Rosine en quête d’émancipation et de libertés. La machine peine toutefois à démarrer, avec quelques gags d’un goût douteux : Figaro reconnaît Almaviva au moment où les deux hommes se soulagent côte-à-côté contre le mur, son amour pour l’or “quel metallo” se manifeste quand on sort les cannettes, tandis que l’utilisation des deux poubelles dans lesquelles se cachent les deux protagonistes pourrait assez vite se montrer lassante. Inutile de chercher un éventuel parallèle avec les questionnements existentialistes du Fin de partie de Beckett, ce n’est visiblement pas l’esprit d’un spectacle dont le sens de la parodie reste très « premier degré », comme le montrent par exemple l’apparition d’un Basilio à l’allure d’Elvis Presley ou les déguisements successifs d’Almaviva : une sorte de Che Guevara armé au premier acte, un rocker à l’italien américanisé au deuxième. C’est sur une sorte de synthétiseur qu’Alonso accompagne au deuxième acte l’air un peu vieillot prisé par Bartolo.
Le public se prend au jeu de ce théâtre franc, direct et décomplexé, pour se laisser emporter par un déferlement d’idées et de trouvailles servies par un réel sens de la mise en espace, par une direction d’acteurs tirée au cordeau et surtout par le choix délibéré et assumé de la caricature et de la dérision.

Sur le plan musical et vocal, les bonheurs sont divers, en raison surtout de la diction pâteuse et brouillonne de plusieurs interprètes, notamment chez les trois protagonistes aux voix graves. Doté d’une basse sombre et caverneuse à souhait, qui sans doute conviendrait idéalement aux grands emplois verdiens, Dario Russo n’a pas la souplesse vocale nécessaire à un rôle comme celui de Basilio et à sa « Calomnie ». Tout le contraire de Bruno Taddia, se riant des difficultés du chant syllabique qui échoit à Bartolo, mais dont le timbre relativement chiche en harmoniques dessert son personnage. Peu compréhensible pour son air d’entrée, Gurgen Baveyan en Figaro ne cesse de s’améliorer en cours de soirée, et le public finit conquis par son baryton riche et mordant, aux aigus faciles et à l’abattage scénique indéniable. La vocalisation semble lui être naturelle, et le jeune Arménien dispose de tous les atouts nécessaires pour être un belcantiste accompli dans les années à venir. Tel est déjà aujourd’hui le cas du ténor Nico Darmanin, même si l’instrument est ici lent au démarrage (aigus tirés, volume insuffisant, vibrements intempestifs pour les deux airs du début du premier acte). En cours de soirée le jeune Maltais révèle une véritable voix rossinienne rompue à toutes les difficultés vocales et stylistiques d’un rôle comme celui d’Almaviva. Dommage que la production n’ait pas prévu de lui accorder le redoutable « Cessa di piu resistere » qui lui aurait donné, en fin de parcours, l’occasion de montrer son potentiel.
De tous les protagonistes, la belle Rosina incarnée par la mezzo-soprano autrichienne Patricia Nolz donne et reçoit la plus grande satisfaction du public sur l’ensemble de la soirée. Sa voix est longue, homogène et idéalement timbrée, les aigus sont éclatants et la technique vocale parfaitement assurée (un nom à retenir et à ajouter à vos Favoris en haut de sa page Ôlyrix pour suivre son parcours).

Dans ce spectacle où le collectif l’emporte sur l’individuel et où chacun s’investit pleinement dans la dimension scénique de son rôle, les comprimarii brillent. La présence du mezzo chaud et cuivré de Marion Lebègue, pour le très court rôle de Berta, relève ainsi du luxe, et l’auditoire apprécie également la qualité du baryton chaud et vibrant de Henry Neill en Fiorello (et il en va de même pour l'Ambrogio ici également Installateur de caméra et Plombier de Romain Guyot et le Notaire de Benoît Andrieux). La basse Yong Kim, sortie de l’excellence du Chœur de l’Opéra national de Lorraine (particulièrement placé et convaincu), fait également forte impression pour les quelques mots chantés par l’Officier à la fin du premier acte.

Le chef d’orchestre Sebastiano Rolli dirige avec une rare minutie une partition qui semble lui aller comme un gant. Ciselée avec netteté et précision, l’ouverture de l’Opéra donne le ton pour un spectacle rôdé, drôle et cohérent, tout à fait en phase avec l’esprit de légèreté indissociable de nos fêtes de fin d’année.
