Rinaldo poursuit son voyage à dos de poisson en Avignon
La mise en scène et la scénographie épousent le caractère fantastique et le sujet chevaleresque de l’œuvre, immergeant le public dans un monde imaginaire bigarré avec machineries et marionnettes qui donnent vie à des soldats, un cheval articulé, des monstres, etc. Les antagonistes entrent sur scène à dos de dragon et de poisson géant qui semblent sortis d'outre-tombe. Les croisades sont également évoquées par des marionnettes de soldats sur des fils de fer.
Les deux comédiennes Rita Tchenko et Marion Zaboitzeff font partie des soldats, mais pas seulement. Elles participent de l’action tout le long du spectacle, revenant sur scène sous différents masques. Certains moments laissent aussi place à l’humour et font rire le public de bon cœur : lorsque les comédiennes deviennent des sbires des antagonistes et essayent de tuer Rinaldo avec un bidon de kérosène et une tronçonneuse avant d’être arrêtés par Armida, ou lorsqu’un corbeau en caoutchouc tombe du ciel (pas tant de mauvais augure que cela). Les costumes conçus par Élisabeth de Sauverzac sont extravagants, tout à fait dans le style fantasmagorique de l’œuvre, avec un mélange de styles invraisemblables : des soldats en armure de chevaliers, des méchants avec des costumes et des coiffures aux styles gothiques comme s’ils sortaient d’un film de Tim Burton, une Almirena habillée en blanc avec les cheveux hérissés. Les lumières d’Hervé Gary forment un effet de loupe sur quelques personnages et rendent l’ambiance lugubre lorsque la scène le requiert.
Le contre-ténor Paul Figuier interprète le rôle-titre, de manière vaillante. Il fait montre d’une voix claire, au timbre rond, avec un doux vibrato, le tout projeté vers des vocalises fluides. Il se montre également très expressif sur le plan vocal comme théâtral. Son "Cara sposa" très émouvant et solennel, propose un phrasé très délicat, avec une puissance adaptée et un grand sens du dramatisme. La mezzo-soprano Blandine De Sansal assure le rôle du compagnon de Rinaldo et général de l’armée chrétienne, le Chevalier Godefroy de Bouillon, Goffredo. Elle ouvre le spectacle et enchante immédiatement le public avec une interprétation très dynamique, d'une voix au timbre chaud, ample et riche. L'homogénéité se conserve dans la pleine agilité.
Almirena, fille de Goffredo, est interprétée avec douceur par la soprano Maïlys de Villoutreys. Sa voix est limpide et brillante, avec un chant nuancé et expressif, en plus d’une présence scénique très aisée. Son interprétation du célèbre Lascia ch’io pianga est délicatement ornée, avec des aigus assurés, ce qui lui vaut des applaudissements enthousiastes.
La cruelle magicienne Armida est interprétée par Aurore Bucher. Elle infuse la terreur avec son Furie terribili, aussi puissant qu'imposant. Sa voix claire déploie des aigus brillants et bien soutenus. Ses vocalises sont précises et nuancées, avec des accents qui renforcent encore son interprétation.
Enfin, son sombre amant Argante est interprété par le jeune baryton Timothée Varon, dont la voix est profonde et bien projetée. Il présente un timbre riche et intense, crédible lorsqu’il montre son côté plus humain et amoureux. Son entrée triomphale assis sur le dos d’un poisson géant fait oublier son oubli de texte et il continue de manière inaperçue dans son élan. Il perd cependant en précision lors de plusieurs passages, surtout lorsqu’il monte rapidement dans les aigus.
Bertrand Cuiller dirige l’Ensemble Le Caravansérail assis devant son clavecin (un deuxième clavecin dans la fosse joue les parties des flûtes ayant été supprimées). Le chef est très attentif aux chanteurs et sa direction est très précise, même s’il joue en même temps (entraînant quelques petits décalages de rythme, mais rien de très flagrant). Les instrumentistes accompagnent les chanteurs avec des lignes musicales très claires et un son riche qui contribue à installer les différentes ambiances, nécessaires à chaque scène : émouvante, terrifiante, tempétueuse. Les instruments sont également amenés à dialoguer avec les chanteurs à plusieurs reprises, comme lorsque les hautbois doublent les vocalises d’Armida ou lorsque les trompettes donnent la réplique à Argante.
Ce spectacle éblouissant reçoit le triomphe du public qui ovationne les artistes pendant de longues minutes.