Coup de génie du froid pour King Arthur à Versailles
« Cinq longues heures, cela aurait dû durer cinq longues heures » déclare sur scène, pince-sans-rire, Hervé Niquet en kilt. En effet, le King Arthur de ce soir sera assurément peu conventionnel. Exit le livret de John Dryden, Oswald, Merlin, Emmeline ainsi que le cortège d’esprits en tout genre. Seule la musique de Purcell -ne représentant qu’un tiers de l'œuvre originale- retentira ce soir, ou presque. Ce nouveau livret adapte la partition autour de quatre scènes de la vie du roi : avec ses armées, dans une forêt, sur une banquise et lors d’un banquet. Cette relecture porte au demeurant encore davantage sur le ton que sur l’intrigue, et le rendu final flirte avec le pantomime. Passé le discours introductif, c’est une avalanche de gags alliant une mise en scène tournant en dérision l’imaginaire arthurien, d'interludes loufoques, de clins d’œil à l’actualité (avec une évocation du prix de kilowattheure et de Cyril Hanouna ou la chorégraphie de Single Ladies de Beyoncé entamée par les sopranos durant le banquet), de faux couacs des équipes techniques et nombres de ruptures du quatrième mur. Le résultat est parfois potache, mais jamais vulgaire et toujours drôle.
Ainsi, au-delà de l’univers comique développé par Corinne et Gilles Benizio (cette dernière ne faisant ce soir qu’une seule apparition en skieuse) deux références britanniques viennent immédiatement à l’esprit. Naturellement, le Sacré Graal ! des Monty Python pour le contrepied clownesque des légendes de la table ronde, mais aussi The Play That Goes Wrong de Lewis, Shields et Sayer qui, bien que postérieure à cette production de King Arthur, aura entre temps consacré le comique de situation lié aux problèmes techniques et aux interventions des régisseurs. Avec un tel parti-pris, l’enjeu principal consiste à doser finement l’équilibre entre le musical et le comique. Conséquence logique, concernant les voix, l’accent est clairement mis sur l’interprétation comique et l’action, et non sur une trop sage musicalité, mais les interférences sonores demeurent cependant anecdotiques durant les moments musicaux.
En Roi Arthur, le baryton-basse Douglas Williams manque de projection dans les premières minutes, mais déploie rapidement sa voix dans toute sa tessiture lyrique, et son timbre demeure chaud jusque dans les graves. Si les harmoniques aigus manquent légèrement par moment, cela se compense par la longueur du phrasé et des aigus impeccables sur les parties vocalisantes de son rôle, même si la technique y est naturellement plus forcée que pour un ténor. Dans l’Air du froid, l’articulation ainsi que la projection sont remarquées, et ce malgré un engagement dramatique et chorégraphique très impressionnant.
Mathias Vidal -récemment dans le Platée mis en scène par le même trio- fait preuve quant à lui d’une précision chirurgicale dans les vocalises et d’un plaisir manifeste à prendre le contrepied des personnages originels. Si le phrasé est parfois saccadé et manque de musicalité par moment, cela est en adéquation avec la volonté générale de la production : sa tessiture légère et sa bonne articulation seront ce soir au service du jeu d’acteur et de la présence scénique. En comparaison, Romain Dayez, plus réservé sur le jeu, offre plus d’harmonie musicale, concentrant la chaleur de son timbre et l’agilité de la technique ainsi que son excellente projection pour obtenir un rendu plus maitrisé. Dans les duos, les compères deviennent désopilants, et choisissent parfois de tout sacrifier au comique de situation, chantant par exemple volontairement comme s’ils étaient saouls lors du banquet (le tout habillés en moines).
Chez les sopranes, le même pseudo-antagonisme peut être relevé. Ainsi, Bénédicte Tauran, passée ses pitreries et sa nasalité outrancière dans la scène de la forêt, crée instantanément le contraste en faisant résonner son timbre rond, chaud et puissant, y compris dans les graves, et fait preuve d’une grande précision dans les vocalises. Le comique n’étant jamais bien loin, elle ira jusqu’à crier lorsque son personnage de dame de cour sera étranglé par un souverain dans un état d’ébriété avancée. Chantal Santon-Jeffery s’illustre par la chaleur de son timbre et la grandeur de son souffle dans les récitatifs les plus longs. Elle révèle également tout son lyrisme et de délicieux reliefs dans ses piani lors de son aria de la scène du banquet. Durant les nombreux duos, la rythmique ainsi que la musicalité sont au rendez-vous, même si les deux dernières mesures de la « Chanson d’amour », anciennement air des sirènes, auraient pu bénéficier d’un tout petit peu plus de précision.
Le Concert Spirituel est à la fête ce soir et déploie des trésors de musicalité et de drôlerie. Le chœur, toujours harmonieux fait ainsi preuve d’un engagement constant et d’une précision générale, mettant en reliefs certains passages. N’hésitant pas à donner dans le clownesque à certains moments (l’image des seaux sur les têtes sur le passage piano de Come if you dare avec… un ballet de balais ou bien encore le chœur la bouche pleine dans le banquet restent en mémoire), il s’en donne également à cœur joie dans les chorégraphies. Les musiciens prennent également part à certains dialogues et sont un personnage de comédie à part entière, se parant de vêtements d’hiver pour la Cold Song, faisant circuler une bouteille de vin durant les discussions entre Hervé Niquet et Gilles Benizio faisant office de régisseur de scène aspirant aux feux de la rampe. L’orchestre au demeurant n’est pas en reste, et offre un résultat tout simplement baroque. D’une précision et d’une énergie sans faille, il fait ressortir toutes les couleurs chatoyantes de la partition Purcellienne, y compris lorsqu’il joue dans le noir total.
Finalement Hervé Niquet, auteur d’un enregistrement remarqué en 2004, est ce soir plus qu’un chef. De Monsieur Loyal, à chansonnier (reprenant l’Air pour Célestin de L'Auberge du Cheval Blanc durant les changements de décors). Il offre ce soir, en plus de sa direction précise, plusieurs fous rires à la salle, allant interrompre Gilles Benizio nettoyant la scène à la souffleuse alors qu’il est encore en kilt (le public imagine aisément le risque encouru), changeant on ne sait trop comment trois fois de pantalon pendant le spectacle et entamant une chorégraphie traditionnelle tyrolienne entre autres pasquinades. Ses apports à la soirée sont aussi musicaux, ajoutant par exemple des grelots à la partition originelle lorsque le Père Noël apparaît sur scène ou, plus discrètement, en demandant à certains de ses violons de rajouter des tremoli pour simuler des grelottements dans la Cold Song.
C’est logiquement sur une chaconne abreuvée d’applaudissements que cette pantalonnade baroque s’achève avec le défilé des chœurs par paire et acteurs principaux, mais aussi des équipes techniques. La musique ne régnait peut-être pas seule en maître ce soir, mais tel n’est après tout pas davantage le cas dans l'œuvre originale. La bonne humeur, le rire et le plaisir manifeste d’être là des artistes auront été communicatifs et c’est donc logiquement qu’une bonne partie du public acclame debout lors des saluts : ce soir le spectacle était à la fête et la fête était un spectacle.