Sonya Yoncheva, Haendélienne-Verdienne en récital à La Galerie des Glaces de Versailles
Le nom de Sonya Yoncheva évoque aujourd’hui les grands rôles du belcanto qu’elle incarne sur les plus grandes scènes du monde entier. Néanmoins, c’est William Christie qui la remarqua et la fit entrer dans son académie "Le Jardin des Voix" en 2007, sa carrière débutant ainsi dans le répertoire baroque. La chanteuse conserve depuis une tendresse particulière pour Haendel, compositeur qui accompagna ses débuts, et au sujet duquel elle rappelait dans son album de retour au baroque : « je ressens quelque chose de très précieux pour Haendel, d’intime. C’est pour moi une musique très intérieure ». En 2011 elle interprète le rôle de Cléopâtre dans Jules César à l’Opéra Royal de Versailles, puis elle consacre cet album au compositeur en 2017 et présente ce soir des extraits des opéras Rinaldo, Theodora, Jules César, Alcina, et Serse, florilège de « tubes » dans lesquels elle incarne les héroïnes.
De prime abord, la voix de la soprano impressionne par ses possibilités de puissance, que la chanteuse convoque par moments afin de renforcer l’intensité d’une parole. C’est néanmoins sans excès que la voix se libère, sachant immédiatement se contenir et se ramener à soi, offrant ainsi une variété de nuances et de couleurs.
Lorsque Cléopâtre réalise son amour pour Jules César et, ayant été informée d’un complot, craint pour la vie de ce dernier, sa supplication irrésistible s'appuie sur l'étirement des tempi qui laissent poindre la plainte douloureuse (tandis que les tenues s’intensifient, aboutissant à un déchirant "io morirò" je mourrai). Elle supplie le ciel d’apaiser ses tourments d’une voix quasi droite, d’une délicatesse confondante, teintée d’une douce mélancolie.
Bien entendu, la voix de Sonya Yoncheva a évolué depuis ses débuts et la fréquentation des grands rôles belcantistes (elle vient de prendre le rôle de Fedora marquant également le grand retour de Roberto Alagna à La Scala de Milan : notre compte-rendu). La chanteuse a modelé sa voix vers une profonde incorporation et une projection remarquée, peu habituelles dans le répertoire plus ancien. Certaines traces véristes (réalisme italien) apparaissent ainsi parfois pour exprimer la tragédie traversée par les héroïnes comme, par exemple, la couverture importante de certaines voyelles dans le célèbre air de Rinaldo, "Lascia ch'io pianga" (laisse-moi pleurer).
Elle a également recours à la voix de poitrine pour le registre médium et grave, et utilise un large espace vocal développé vers l’arrière gorge, notamment pour exprimer le drame que vit la magicienne Alcina tombée amoureuse et délaissée. L’abandon ("sola") endosse une couleur caverneuse et la colère ("traditore") impressionne d’intensité. Le style et le ciselé du phrasé de cette musique sont cependant préservés grâce à un centrage de la voix et une brillance résonnant avec le lieu. Elle vocalise agilement et, espiègle, s’amuse à l’idée de séduire Jules César, tout comme elle exprime la joie de Morgana (croyant se faire aimée) en sons piqués, exultant avec des aigus éclatants.
À l’intensité d’interprétation de Sonya Yoncheva, répond l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles, aussi investi et guidé par Stefan Plewniak (que la chanteuse embrasse à plusieurs reprises, émue et heureuse de cette collaboration). Dans un désir « de prendre part à l’équipe », il mène les troupes de son violon : « Transmettre les émotions de la musique avec des mots n’est pas chose aisée. La parole est trop limitée, n'exprime pas toutes les couleurs musicales et peut s’interpréter trop différemment d’un musicien à l’autre. À ma manière, donc, j’essaie de transmettre le plus de choses à mon orchestre en jouant avec eux » comme il l'explique dans Les Carnets de Versailles. Le son ample de l’ensemble semble en adéquation avec les moyens vocaux de la soprano et c’est en véritable partenaire qu’il intervient. Soupirant de pair dans l’air de Theodora « With darkness deep », les violons se font aussi bien compagnons de joie dans l’air de Morgana. L’Orchestre intervient seul à plusieurs reprises, maintenant l’intensité émotionnelle de la soirée grâce à un investissement de chaque instant. La fougue qui s’empare des musiciens dans le Concerto Grosso n°4 d'Arcengelo Corelli impressionne et semble les emporter à la limite de leur possibilité. Les archets grattent vigoureusement les cordes dans des tempi extrêmes, l’énergie qui en résulte transporte le public qui acclame les artistes.
Trois bis sont accordés : le poignant air de la mort de Didon de Purcell, ainsi que "Tristes apprêts" (Sonya Yoncheva demandant l’autorisation au public de chanter de la musique française dans ce cadre). Les artistes reprennent également "Ah mio cor! schernito sei!" à destination de la captation de ce concert par Radio Classique que vous pourrez entendre sur cette page-même ce samedi 19 novembre à 21 heures.
Le concert s’achève par une « standing ovation » aussi éclatante que la beauté du lieu, la Galerie des Glaces du Château de Versailles.