La Flûte enchantée, initiatique et lumineuse à Bastille
La scénographie inventive et dépouillée de Michael Levine reste, après presque une décennie, aussi lisible, efficace et fascinante. Le parcours initiatique des personnages principaux est ici clairement illustré : oscillant entre une forêt profonde qui évolue au rythme des saisons en fond omniprésent et un champ de terre parsemé de tombes sous lequel le plateau est plongé au deuxième acte après en avoir exploré la surface au premier. Les protagonistes errent dans un univers partagé entre l’obscurité et la lumière (thèmes de cet opéra modelé sur un rituel maçonnique) : c’est bien de la victoire de la vie sur la mort et du Bien sur le Mal dont il s’agit. Tous les personnages participent à l’odyssée philosophique et symbolique de Tamino et Pamina, y compris la Reine de la Nuit et ses trois Dames qui font partie intégrante du stratagème de Sarastro dès le départ afin d’amener les deux élus à l’éveil et à la connaissance.
Les lumières également signées Robert Carsen, et Peter van Praet, ainsi que la beauté saisissante des vidéos de Martin Eidenberger qui représentent la forêt au fil des saisons avec en surimpressions les personnages principaux, rehaussent la saveur et amplifient la portée de cette épopée intime.
Ching-Lien Wu a particulièrement préparé le Chœur de l’Opéra de Paris pour cette reprise, chaque intervention étant soignée, ample et majestueuse. Les accents de joie du grand finale rajoutent une pointe d’enthousiasme sincère et libérateur.
Au pupitre, Simone di Felice, pour ses débuts à l’Opéra de Paris varie constamment les tempi, apportant un louable souci de vitalité et de surprises mais aussi des soucis dans le phrasé : il doit œuvrer, parfois lutter pour qu’il ne perde pas de sa constance en fosse et qu’il ne soit pas perdu par les solistes sur le plateau (ce qui arrive de temps à autre, occasionnant une multitude de mini-décalages).
Le plateau vocal de cette deuxième distribution est très homogène et sert l’écriture mozartienne avec panache et simplicité à la fois. Les trois solistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine assurent avec solidité et joliesse leurs parties, sans forcer leurs moyens. Niall Anderson et Tobias Westman (deux anciens académiciens maison, comme Marie-Andrée Bouchard-Lesieur) chantent avec un beau son fondu et une robustesse plaisante les deux Prêtres et les deux Hommes en armes, le premier d'une voix bien charpentée et souple, le second avec un timbre fruité et un médium nourri.
Michael Colvin s’en donne à cœur joie en Monostatos espiègle et roublard de son timbre incisif et de sa présence bouffe très accomplie.
La Papagena de Tamara Bounazou est touchante par la qualité de son jeu (sa scène en squelette à la Tim Burton est particulièrement marquante) et son duo final fait mouche grâce à la rondeur de son timbre et l’inventivité de son phrasé.
Les Trois Dames (Katharina Magiera à l'alto corsé, Marie-Andrée Bouchard-Lesieur au mezzo précis et soyeux ainsi que Margarita Polonskaya au soprano à la fois pétillant et vif) font preuve d’une grande aisance dans les ensembles, d’une qualité de mixage de leurs timbres respectifs, et surtout de beaucoup d’amusement et de précision dans les phrases solos.
Michael Kraus est un Orateur de bel acabit : souffle long, allemand superlatif et noblesse d’expression lui permettent de donner à sa longue scène une dignité appréciable.
Brindley Sherratt est tout aussi convaincu en Sarastro avec la majesté de ses interventions, la qualité de ses graves à la fois profonds et lumineux ainsi que son investissement dramatique.
Olga Pudova en Reine de la Nuit accomplit sa partie avec maîtrise, dans les suraigus ainsi que dans son médium large et moelleux, avec même une forme de sobriété qui sert la dimension magique et suspendue de la mise en scène.
Iurii Samoilov s’amuse follement en Papageno, de bout en bout, avec égalité des registres, timbre charmeur et diction exemplaire (qualités se réunissant particulièrement pour son troisième air où son jeu théâtral emporte l’adhésion de l’auditoire).
Christiane Karg est une Pamina au matériau vocal adéquat. Le timbre frais, la clarté du haut médium et l’aisance de la ligne sont irréprochables. Il lui manque juste un soupçon d’implication théâtrale, avec davantage d'étoffe dans ses moments de doute et de désespoir.
Pavel Petrov déroule son Tamino avec facilité : chaque intervention est affirmée, le personnage savamment construit dans son évolution, le timbre suave et lumineux. La ligne n’est jamais bousculée, et la fin de son grand air déploie la douceur et le rayonnement de ses aigus.
Le public, ravi par la qualité de cette reprise, offre une belle ovation aux solistes et au Chœur au tomber du rideau.