Rinaldo défié à Tours
Le Festival baroque devenu un rendez-vous incontournable de l'automne tourangeau (et au-delà) poursuit la voie de son ambition avec cet opéra en version de concert, confronté comme c'est le cas dans les maisons lyriques, au besoin d'effectuer des remplacements d'artistes (la période automnale est très poétique, mais son climat inconstant peut mettre les voix à rude épreuve). La soirée peut néanmoins s'appuyer sur le chef Ottavio Dantone, via sa grande connaissance du répertoire et son jeu au clavecin pour diriger son ensemble baroque Accademia Bizantina durant les 2h35. L’orchestre a une forme d'inconstance mais pour se mettre au service du plateau vocal : afin de donner de l’énergie aux chanteurs, ou en les laissant s’exprimer pleinement lorsqu’ils ont besoin d’espace sonore.
Le résultat vocal est inégal entre les six solistes, qui ont connu deux changements (Francesca Aspromonte dans le rôle d’Almirena et Luigi de Donato dans celui d’Argante remplacent Sophie Rennert et Federico Sacchi, souffrants), mais notamment en raison de la richesse des identités vocales individuelles. D'autant que ce ne sont pas les remplaçants qui sont à la peine (au contraire), mais l'équilibre d'ensemble, ce qui est d'ailleurs aussi remarqué par un public s'assumant comme néophyte (et que le Festival sait accueillir chaleureusement).
Le premier à se présenter sur scène élégamment habillé de son costume gris est Goffredo, général de l’armée chrétienne, incarné par Filippo Mineccia. Visiblement rodé à l’exercice des vocalises et des trilles, le contre-ténor déploie la volupté de sa voix timbrée, tout en rondeur, tout à fait appréciée du public Tourangeau. Sa ligne vocale bien articulée et son agilité dans les phrases les plus longues lui permettent de souligner son incarnation du désespoir, lui valant une ovation.
Étincelante est sa robe blanche, éclatante est sa voix : combinant douceur dans le fameux "Lascia ch’io pianga" et puissance dans "Combatti da forte" Almirena, interprétée par Francesca Aspromonte surjoue certes légèrement, mais captive les spectateurs avec l'intelligence de son articulation. D’une souplesse notable et se pliant à sa moindre intention, la voix ferme et brillante de la soprano contraste agréablement avec celle de Rinaldo.
Delphine Galou, dans ce rôle-titre, présente une maîtrise évidente du style baroque, avec l’endurance des multiples vocalises. Malheureusement, contrastant avec cet exercice manifestement réussi, un manque de puissance vocale se fait ressentir sur la première partie du spectacle. Ce n’est qu'après l’entracte que sa voix souple se dévoile, petit à petit. Elle incarne alors avec vigueur son personnage, pour le plus grand plaisir de chacun, toujours avec cette diction parfaite et ces vibratos tantôt larges, tantôt absents, typiques d'une interprétation baroquisante.
Nul autre que le roi entre en scène, triomphant, accompagné des cuivres (mais pris en défaut dans leur entrée en matière, créant là encore un léger malaise et quelques rictus dans la salle). Luigi Di Donato est non moins sûr de lui, de sa voix puissante et chaude. Bravant les vocalises avec brio, la basse force un peu certains passages vocaux mais comme pour montrer la voie à ses sujets, d’un vibrato large et paternaliste. Il incarne pleinement le personnage et capte l'attention du public dans sa gestuelle et ses mouvements de main violents, dans sa présence de colosse.
Tel Roi telle Reine, dès les premiers aigus, Armida, magicienne et reine de Damas, jouée par Arianna Vendittelli, lance avec colère, de sa voix claire et puissante, ses “Furie Terribili”. La diction est impeccable, l'interprétation incarnée, l'agilité vocale incontestable, le duo des régents rendant au spectacle son énergie, positive malgré la sorcellerie diabolique dans la colère et les triomphes maléfiques. En harmonie avec les hautbois, la soprano déploie l’étendue d’un son riche et agile, légèrement dramatique.
Enfin, la basse Federico Benetti interprète le magicien de son vibrato tout à fait ample et large, dans une chaleur rassurante, contrairement à celle du roi Argante.
Concluant en chœur, tous les chanteurs se retrouvent sur scène pour le dernier air en un moment d’équilibre final où chacun (re)trouve sa place, récompensé par les applaudissements du public.