Zoroastre brillant et historique au Théâtre des Champs-Elysées
Les deux ensembles spécialisés dans les interprétations historiquement informées, Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie ont convergé l'année dernière et se sont déjà illustrés, notamment dans l'enregistrement d'une œuvre oubliée de Rameau, Achante et Céphise. C'est à cette occasion que le Centre de Musique Baroque de Versailles a commandé à Agnès Guéroult et Rudolf Tutz deux clarinettes historiques reconstruites dans le diapason d'usage à l'Opéra en 1750, qui sont ici une nouvelle fois une mises en valeur.
En effet, Zoroastre est la première œuvre du répertoire lyrique français qui a fait appel à des clarinettes. Mais la recherche historique va plus loin, puisque c'est l'effectif exact de l'orchestre de la création de l'œuvre qui a été reconstitué, ainsi que la disposition spécifique de l'époque. En fermant les yeux, l’auditeur peut donc s'imaginer près de 300 ans en arrière, entendre ce qu'ont entendu les tout premiers auditeurs de cet opéra.
Alexis Kossenko dirige avec de grands gestes, très engagés, très précis et toujours dans l'écoute des musiciens. D'une grande souplesse, dansant, farceur, joueur, le chef est un ballet à lui tout seul. L'orchestre le suit dans tous les contrastes, toutes les subtilités, avec une énergie débordante et communicative. Le Chœur de Chambre de Namur est une véritable extension de l'orchestre, très équilibré, chantant de manière quasi instrumentale, projetant le texte de manière percutante.
La distribution vocale est un florilège de voix maîtrisées, à la diction irréprochable, d'interprètes engagés dans une interprétation respectant aussi bien le style que la technique. Chaque rôle a été aussi bien distribué au niveau de la voix qu'au niveau de l’incarnation des personnages et cette version de concert a toute la dimension scénique souhaitée. Dans le rôle-titre, Reinoud van Mechelen est aussi à l'aise dans ses aigus brillants jamais forcés que dans des graves puissants. Maniant toutes les nuances, tantôt doux et tendre, tantôt violent et terrible, il charme l'auditoire par son charisme constant. Face à lui, Jodie Devos n'est pas en reste dans le rôle d'Amélite, parfois un peu appuyée dans son jeu, mais à la voix si pure, si tubée tout en gardant une souplesse lui permettant toutes les trilles et vocalises. La chanteuse trouve le plein et juste équilibre entre une projection très serrée et des harmoniques très développées, si agréable à l'oreille. Les deux chanteurs ne montrent aucun signe de fatigue à la fin de cette œuvre longue et de ces rôles éprouvants, Jodie Devos régalant même le public avec un contre-ré frôlant l'insolence dans sa facilité.
Dans ce livret très manichéen, les méchants Abramane et Erinice sont joués par les expérimentés Tassis Christoyannis et Véronique Gens. Le premier impressionne aussi bien par sa prestance physique que par sa voix, puissante sans être jamais forcée, avec une grande longueur de souffle et d’une implication permanente. La seconde lui donne la réplique avec un tout petit peu moins d'assurance (le rôle offrant peu de présence sur scène ne lui permet pas de se démarquer réellement) et une émission parfois dure, mais la voix est toujours aussi belle, chaude et ronde.
David Witczak interprète tous ses rôles (Zopire / Arimane / Un Génie / La Vengeance) avec beaucoup d'engagement et une technique intelligente, se servant brillamment des consonnes pour projeter une voix très étendue, souple et posée. Mathias Vidal est surprenant dans son triple rôle (Abénis / Orosmade / Une Furie), car sa douceur et sa musicalité détrompent sa nervosité physique. Bien qu'agité dans sa gestuelle, il offre un charmant duo avec Gwendoline Blondeel dans lequel il déploie une grande tendresse et une voix idoine. Les nuances qu'ils déploient avec la soprano sont d'une délicatesse extrême. Cette dernière, en Céphie / Cénide, a la voix jeune et légère (parfois un peu trop), agile et parfaitement placée, et elle est très émouvante, notamment dans son air à l'acte II, à la fois par son jeu et par sa musicalité. Marine Lafdal-Franc (Zélise / Une Fée / Une Furie) offre à chacune de ses interventions une voix pleine et charnue, bien que parfois légèrement en arrière. Les deux chanteuses ont le mérite de chanter également dans le chœur entre leurs apparitions sur scène. Pour finir, Thibaut Lenaerts, qui est également le préparateur du Chœur de Chambre de Namur, intervient très rapidement dans le rôle d'une Furie, montrant une voix claire, brillante et bien placée.
La soirée est saluée comme une vraie réussite par le public, admiratif devant cet investissement scénique qui donnerait envie de revoir le même spectacle dans une mise en scène d'époque.