Orphée et Eurydice au TCE : sous les graviers la mort
La mise en scène de Robert Carsen, sobre et juste, marque le spectateur, visuellement et symboliquement : plage ou désert, terre très certainement, graviers même qui séparent le monde des morts de celui des vivants. En son centre, une tombe creusée, celle d'Eurydice. Toute l'intrigue, courte et intense, se déploie dans cet espace, empruntant à la fois à la danse macabre et à la tragédie antico-romantique.
Le décor est habillé des lumières intelligentes et évocatrices de Peter van Praet mais aussi, et surtout, par la grande présence du Chœur Balthasar Neumann, tantôt endeuillé, tantôt infernal, dans un jeu impliqué et crédible. Le son lui, et malgré quelques décalages en cette première, porte subtilement les interventions et sait se faire doux ou hargneux selon qu'il reflète la compassion des amis d'Orfeo ou l'intransigeance des spectres et larves. Il finit par prendre toute la scène, emportant les héros de l'histoire dans un "happy ending" accompli.
L'Orchestre de Balthasar Neumann participe lui aussi à la richesse sonore des ambiances. Si le son paraît sec, voire dur, dans l'ouverture et le premier acte, et si l'ensemble tarde à trouver un legato équilibré et une conduite autre qu'expressionniste, le charme opère dès la descente aux Enfers avec un jeu de couleurs rythmé et kaléidoscopique, réagissant avec vivacité dans les récitatifs comme dans les airs, à l'écoute des chanteurs et des situations dramatiques. Thomas Hengelbrock sait où il conduit le public et c'est l'intérêt majeur de sa direction qui ménage les effets dramatiques dans un souci tout théâtral. C'est peut-être d'ailleurs le reproche qui pourrait lui être fait également : le lyrisme (ô combien important dans cette œuvre) pâtit de cette énergie, trop souvent relayé au second plan.
Sur scène, Regula Mühlemann, annoncée souffrante, propose une Euridice expressive malgré tout. La voix possède une couleur ronde et cristalline que le rhume ne parvient jamais à voiler durablement au grand plaisir de la salle. Les graves sont basculés et poitrinés, les tenues séduisantes malgré la projection parfois par trop prudente. L'actrice est également convaincue, d'autant plus qu'elle intervient tard dans le drame qui, en retour, dépend beaucoup de cette apparition pour séduire et aboutir.
Elena Galitskaya est un Amore réjouissant : voix brillante et projetée, elle compose un personnage naïf et spontané, alternant entre l'insouciance et la gaité. C'est elle qui offre la fin heureuse avec son énergie, apportant l'essentiel pour la rendre crédible sans qu'elle n'apparaisse trop incongrue.
Jakub Józef Orliński, héros de la soirée, très applaudi au baisser de rideau final, apparaît en retrait dans le rôle d'Orfeo. L'implication physique de son jeu se met au service d'une caractérisation juvénile, faisant du personnage principal un très jeune adolescent dans la tourmente et l'impétuosité amoureuse. Mais la ligne de chant est rendue avec des fragilités, notamment lorsque l'investissement vocal déploie son émission. Les sons projetés manquent de souplesse et de legato. Les graves et le registre aigu ne sont pas sonores. Le centre de l'ambitus offre néanmoins sa couleur ronde et claire, mettant en valeur les récitatifs, comme lieu de l'expressivité, base d'une interprétation contenue.
Le contre-ténor se mêle cependant sans peine à un spectacle très cohérent, porté par l'engagement scénique et musical de tous les artistes. L'acclamation finale le prouve d'ailleurs, inaugurant cette nouvelle saison du Théâtre des Champs-Elysées avec un bonheur communicatif.