Coup de foudre pour un Eclair à Genève : Halévy exclusif
L’Opéra de Genève propose deux œuvres de Jacques-Fromental Halévy en deux jours : après La Juive mise en scène par David Alden, c’est cette fois L’Eclair qui est mis en lumière par une version de concert, une autre œuvre offrant deux rôles exigeants à des ténors et deux autres à des sopranos. Comme la veille, Aviel Cahn doit venir à l’avant-scène avant le début du spectacle. Il félicite d’abord les « mélomanes curieux » qui sont présents en salle pour cet « évènement exclusif ». Exclusif, en effet, parce qu’il s’agit d’une œuvre donnée extrêmement rarement, mais aussi parce que la salle n’est que clairsemée. Il annonce aussi, comme la veille, que l’un des chanteurs est souffrant : si le personnage de Lionel perd la vue, son interprète perd quant à lui la parole. En effet, le ténor Edgardo Rocha, souffrant, interprète les parties chantées, mais est soulagé des parties parlées par un comédien, Leonardo Rafael.
Bien qu’écrite la même année par le même compositeur, L’Eclair est toutefois une œuvre bien différente de La Juive : opéra-comique, son sujet est léger (tout comme sa structure puisqu’elle ne nécessite que quatre solistes, un orchestre réduit et pas de chœur), même si les pages mélancoliques sont finalement plus nombreuses que les pages joyeuses. L’intrigue suit George, un jeune homme poussé par son riche oncle à épouser l’une de ses deux cousines afin d’être désigné héritier. Mais il a toutes les peines du monde à choisir entre les deux jeunes femmes. Sa tâche est en plus compliquée par l’arrivée d’un jeune marin, Lionel, qui perd la vue après avoir été touché par un éclair, ce premier coup de foudre étant suivi d’un second, pour l’une des deux prétendantes, cette fois. Deux couples se forment ainsi. Le premier, léger et insouciant, porte les pages comiques, tandis que le second, plus introverti et romantique, se voit confier des parties plus langoureuses. L’air de Lionel à l’acte I est ainsi si long et lascif, que quelques têtes plongent dans le public, soudain éveillées par le fameux éclair tonitruant.
Guillaume Tourniaire dirige l’Orchestre de Chambre de Genève sans baguette, d’un geste souple et arrondi, dynamique. Il chante avec les solistes pour mieux ressentir leur souffle, et se tourne avec un large sourire vers les musiciens, comme pour leur transmettre sa confiance, avant de les lancer d’un doigt. La fosse résonne ainsi avec vigueur, joyeuse et légère dans les pages les plus allantes, ou bien avec délicatesse (comme ces pizzicati pianissimi qui accompagnent l’air de Lionel à l’acte III). Tous les pupitres sont dans le thème : les violons frémissants annoncent des vents tempétueux, menant au tonnerre des percussions.
Julien Dran campe George, grand benêt imbu de lui-même, qui prend son indécision pour de la philosophie. Il porte à lui seul le comique de la soirée et parvient à faire rire, même à ses dépens, comme lorsqu’il tente d’ajuster son pupitre à sa haute taille et que celui-ci se détache de son socle, lui restant dans les mains : il le porte alors devant lui avec assurance, comme si cela avait été répété. Il présente une voix brillante et chaude, parfois trop couverte ce qui provoque un léger engorgement. Sa ligne est très travaillée : il décore son chant d'effets vocaux variés. Edgardo Rocha chante donc le rôle de Lionel. Aucun surtitrage n’étant proposé, son remplacement sur les parties parlées aurait pu être pertinent même sans maladie, sa diction française n’étant que rarement compréhensible. La voix ne laisse en revanche pas apparaître sa fragilité temporaire. Son timbre méditerranéen dispose de couleurs chaudes. Son chant est aérien, comme ces aigus tenus du bout des lèvres, les dents légèrement serrées (même si émis en voix pleine, ces mêmes aigus apparaissent un peu forcés).
Claire de Sévigné interprète Henriette d’une voix fine, pure et perchée, au volume limité et au timbre acidulé, ce qui correspond bien à la candeur du personnage. Sa ligne vocale est perlée et vibrionnante. Elle s’investit dans son interprétation théâtre, se montrant tantôt éclatante et tantôt désolée. Eléonore Pancrazi en Madame Darbel dispose d’une voix chaude et plus épaisse. Elle construit une ligne vocale souple et voluptueuse, qu’elle pourrait simplement charger davantage en sens dans les vocalises. Un sourire (presque) toujours présent sur son visage, elle apporte par son personnage mutin de la légèreté sur le plateau, dansant presque tandis qu’elle chante.
Les spectateurs présents saluent généreusement l’ensemble des artistes. Pour voir le verre à moitié plein, la faible présence du public aura au moins permis de limiter les bruits parasites pour la captation qui est faite de l’œuvre et qui permettra sous peu de disposer d’un enregistrement de référence pour cette rareté.