Ligeti, Debussy et Messiaen par l'Orchestre de Paris et Esa-Pekka Salonen à la Philharmonie
Placé à la tête de l’Orchestre de Paris et du Chœur féminin de l’Orchestre pour La Damoiselle élue (du jeune Debussy, lauréat du Prix de Rome, annonçant déjà la modernité de sa sensuelle esthétique), le chef Esa-Pekka Salonen soucieux des coloris et des transparences privilégie une atmosphère éminemment poétique et pleine de charme, de délicatesse, comme apaisée et tranquille. La mezzo-soprano Fleur Barron (interprète remarquée de Lieder qui vient de remporter le Prix Schubert 2022) fait valoir en "récitante" un timbre grave et profond, à la limite de l’alto, très captivant et comme paré de mystères, ce qui convient parfaitement au personnage. La ligne de chant est belle et habitée, seule la prononciation pourrait être améliorée.
Axelle Fanyo s’empare de l'Élue avec une conviction totale, laissant se développer sa voix de soprano dans tout l’ambitus souhaité, conférant à son chant toute une trame poétique au charme prenant. La qualité du son est privilégiée tout comme la prononciation de fait très exacte. L’aigu peut se parer de splendides éclaircies mesurées tout comme rayonner dans la grande salle Pierre Boulez. Les deux cantatrices recueillent une bonne part des vifs applaudissements du public.
À La Damoiselle élue, succède une composition de György Ligeti, Clocks and Clouds, pour orchestre et douze voix de femmes (pièce de 1973, appartenant à une période toute particulière du compositeur qui s’attache alors à des musiques mécaniques de précision ou tictaquantes). « Je voulais faire référence aux montres molles du tableau de Dali qui avaient une valeur associative dans la composition de cette œuvre » devait déclarer Ligeti et c’est bien ce que le public perçoit à l’écoute de cette page musicale assez brève (une quinzaine de minutes) et lancinante, mais redoutable pour le chœur de femmes qui chante uniquement des syllabes issues de l’alphabet phonétique. Le Chœur accentus, sopranos et altos, préparé par Richard Wilberforce, s’empare avec éclat et une maîtrise confondante de cette tâche ardue tandis que l’orchestre affûte des armes qu’il déploie dans la tentaculaire Turangalîla-Symphonie d’Olivier Messiaen. Esa-Pekka Salonen connaît intimement toutes les subtilités et les difficultés de ce monument qu’il a conduit à maintes reprises avec des orchestres très différents. Chef incisif, il impulse aux différents mouvements à la fois toute la dynamique souhaitée mais aussi la souplesse attendue, voire le mordant indispensable. L’Orchestre de Paris rayonne de tout son lustre sous sa baguette, confirmant la forme qui est actuellement la sienne après la Salomé de Richard Strauss représentée cet été au Festival d’Aix-en-Provence sous la direction d’Ingo Metzmacher (notre compte-rendu).
Au piano, Bertrand Chamayou, lui-même grand interprète de Messiaen, semble se jouer des composantes de sa partie et des pièges accumulés par le compositeur, certain des moyens exceptionnels de son épouse et créatrice de l’ouvrage en 1949 à Boston sous la baguette de Leonard Bernstein, Yvonne Loriod. Aux ondes Martenot, qu’elle professe au Conservatoire de Paris, Nathalie Forget se place dans la juste succession de Jeanne Loriod, tout en accentuant à plusieurs reprises les sonorités fascinantes de cet instrument atypique.
Cette interprétation presque tellurique de la Turangalîla-Symphonie reçoit une ovation longue et unanime du public de la Philharmonie, visiblement bouleversé.