La Giuditta à la Chaise-Dieu, Scarlatti à en perdre la tête
Quelques heures seulement après avoir livré son interprétation d’Il Sedecia de Scarlatti (lire notre compte-rendu), l’ensemble Les accents remet le couvert, toujours à l’Abbatiale Saint-Robert de La Chaise-Dieu. Après la traditionnelle introduction à l’orgue (qui permet de valoriser le magnifique instrument au bois sculpté), c’est cette fois La Giuditta du même Scarlatti qui est interprété, avec des artistes de l’Académie de l’Opéra de Paris. Comme la veille, l’ensemble se montre dynamique dans son interprétation : graves ou aigus, les accents sont marqués par Thibault Noally. Les violons et l’alto jouent d’ailleurs debout (à l’exception d’une instrumentiste dont le ventre rond témoigne d’une excuse plus que valable), tout comme leur chef qui leur fait face.
Marine Chagnon interprète le rôle-titre d’une voix satinée, aussi brillante que sa robe argentée, bien projetée sauf dans les graves qui se perdent. Ses vocalises sont fines et agiles, mais manquent encore de sens et d’éloquence. Elle donne à son personnage un sourire carnassier et un intense et regard hautain, de femme sûre de ses pouvoirs de séduction et de sa victoire sur le tyran qui l’aime. Son interprétation gagnerait toutefois à davantage varier ses intentions théâtrales lors des da capo.

Pour une fois, l’antagoniste n’est pas interprété par une voix grave, mais au contraire par un contre-ténor. Fernando Escalona campe le Général Holopherne, que la trompette qui accompagne son entrée et les vocalises qui lui sont confiées ont pour rôle de rendre triomphant. La voix, elle, garde un volume limité dans le médium et ne s’élargit que dans l’aigu. Le violoncelle accompagne le duo par lequel Judith séduit sa victime : dans les profondeurs de ses sonorités se plongent les deux voix entre langueur et ardeur.

En Prince Ozias, la soprano Ilanah Lobel-Torres a une couleur vocale proche de celle de sa collègue. Sa projection est toutefois plus vive, dans tous les registres. Ses phrasés sont harmonieusement conduits, avec musicalité, et ce même si elle pourrait encore gagner en expressivité en se détachant davantage de sa partition. Ses aigus sont stellaires, fermes et doux tout en restant bien projetés.

Seul chanteur à ne pas venir de l’Académie de l’Opéra de Paris, mais profitant de sa présence au concert de la veille pour prêter main forte, le ténor Anicio Zorzi Giustiniani campe le Capitaine Achior, soldat d’Holopherne originaire de Béthulie. Son personnage, chassé par le Général, encourage Ozias à ne pas se rendre, se montrant confiant dans la victoire de Judith. Sa voix reflète ce rôle ambivalent mais finalement positif : franche et bien émise, elle reste lumineuse et agile dans les vocalises. Son legato est soigné et son air langoureux lui permet d’exposer un registre aigu bien maîtrisé.
Aaron Pendleton, qui dépasse le reste du plateau de plus d’une tête, est un diamant à polir. En Sacerdote, il expose une voix large aux riches harmoniques qui, maîtrisée, lui offrira de grands rôles dans de grandes salles et qui, déjà, construit un socle solide pour les ensembles. Mais pour ne pas déséquilibrer l’interprétation, il doit réduire sa voix ce qui lui fait perdre sa structure. De même, il paraît moins confortable dans le registre aigu, tout cela entrainant encore des approximations dans l’interprétation.

Le soupire et le sourire de Fernando Escalona une fois la partition refermée montre l’exigence de cette œuvre pour les interprètes : le public accueille leurs saluts avec enthousiasme, encourageant ces jeunes artistes, déjà bien armés pour lancer leur carrière.