Les compositrices vénitiennes à l’honneur au Festival Radio France de Montpellier
Il est probable que peu de gens (hormis nos lecteurs), même parmi les amateurs de musique baroque, aient déjà entendu le nom d’Antonia Bembo, chanteuse lyrique et compositrice italienne née à Venise vers 1640. Élève de Francesco Cavalli, elle se fait d’abord connaître en Italie, puis en France où elle fuit son mari violent et débauché. Elle y vivra jusqu’à sa mort vers 1713. Devant le public du Corum de Montpellier, William Shelton et Léo Brunet retracent la biographie de cette femme, pas si atypique : avant elle, il y avait Barbara Strozzi (également élève de Cavalli) et Maddalena Casulana (première compositrice publiée en Occident). Les deux jeunes artistes les font redécouvrir également, avec le maître Francesco Cavalli et Francesco Corbetta, l’un des plus grand guitariste de son temps.
William Shelton prête son chant à ces pages oubliées de la musique baroque. Sa voix est limpide, aérienne, à peine vibrée. Le timbre rond dans le médium s’affine dans l’aigu en un son cristallin. Ses graves sont sonores, veloutés, déposés avec soutien en effleurant la voix de poitrine. Il vocalise avec agilité, à la manière baroque, en détachant les notes avec de légers à-coups du diaphragme. À cette habileté technique, il ajoute de l’expressivité, étirant ses notes avec une langueur mélancolique. Sa voix se prête à merveille à ces pièces d’orfèvrerie musicale, cependant que la technicité passe inaperçue et qu'il en fait surgir toute l’émotion.
L’entente est manifeste entre les deux jeunes musiciens. Léo Brunet distille l’accompagnement au théorbe ou à la guitare baroque. Son jeu est méthodique et d’une richesse de sonorité rare, faisant entendre distinctement les notes de la basse continue pincées sur les cordes du théorbe. Avec humour, il présente Francesco Corbetta (lequel a probablement aidé Antonia Bembo à quitter l’Italie et l’aurait présentée à la cour de Versailles), comparant sa musique à celle des guitaristes des années 1970. Il en donne la preuve en interprétant le virtuose « Caprice de Chaconne », morceau de pyrotechnie musicale.
Fort différente de la Cathédrale Sainte-Croix des Arméniens à Paris où ce programme était proposé peu avant dans le cadre du Festival Européen Jeunes Talents, l’acoustique très claire et sans réverbération de la salle Pasteur, due à son architecture en bois et granit, rend de surcroît la musique particulière limpide.
Fait également surprenant compte-tenu du répertoire (des pièces baroques méconnues) et de l’horaire (le concert se déroulant à 12h30), le vaste auditorium est pratiquement plein, faisant retentir à tout rompre les applaudissements saluant les deux jeunes musiciens. Ces derniers montrent leur reconnaissance en donnant en bis une chanson de la compositrice vénitienne contemporaine Marina Valmaggi, faisant ainsi le lien entre passé et présent de la création féminine.