Dans l’imaginaire de Pretty Yende au Potager du Roi de Versailles
Pour se rendre au Festival Idéal au Potager du Roi, il faut d’abord cheminer à travers les jardins dessinés par Jean-Baptiste de La Quintinie et classés au titre des monuments historiques. Grâce à un généreux (et anonyme) mécène, l’ensemble des concerts de ce festival, créé en pleine crise du Covid à l’été 2020, sont gratuits cette année. Ce récital de la soprano star Pretty Yende ne coûte donc que les 4 € demandés pour entrer dans les jardins. Après un mot d’accueil de Jean-Paul Scarpitta, fondateur et Directeur artistique de l’évènement (qui assiste ensuite au spectacle debout sur le côté), la cantatrice monte sur la scène placée sous un chapiteau de plastique transparent, accompagnée du pianiste Vincenzo Scalera.
Sous l’œil d’un chat curieux venu assister au concert, Pretty Yende, large sourire aux lèvres, balaye les œuvres, mélodiques ou opératiques, de Bellini, Donizetti, Rossini, et Liszt, démontrant par l’exemple ce qui différencie une belle voix d’une grande voix. Bien sûr, le timbre est riche et sain, y compris dans les aigus extrêmes. Mais ce qui fait la richesse de son chant, c’est son incarnation, sa capacité à nourrir chaque note d’une intention. Les textures de sa voix varient, épaisse et sombre dans les passages mélancoliques, légère et piquante pour les pages plus joyeuses ou malicieuses. Elle attache beaucoup d’attention aux nuances, s’appropriant les tempi, bien suivie par son accompagnateur. Bien qu’en récital, elle offre une interprétation très théâtrale, usant de moues et de sourires entendus ou fermant son visage voire ses yeux, totalement plongée dans la musique. Les vocalises sont toujours éloquentes, liées ou piquées, toujours précises et détachées. Elle n’hésite pas à sacrifier sa technique à l’émotion, creusant son vibrato ou renonçant à toute articulation, bouche quasi-fermée. En l’absence de surtitrage, les spectateurs, placés les pieds dans l’herbe à quelques mètres seulement, peuvent ainsi se fier à ses phrasés pour comprendre le sens sans comprendre les mots.
Alors que la température baisse d’un cran, Pretty Yende réchauffe le public de sa voix sur « Una Voce poco fa » extrait du Barbier de Séville. Ses vocalises clouent le bec des oiseaux qui accompagnaient jusque-là la musique de leur chant. Après s’être reposée dans le pavillon voisin le temps d’un entracte, Pretty Yende revient, demandant, légèrement moqueuse, une salve d’applaudissements pour les retardataires se pressant vers leur place. Les arbres bruissent, les éclairages s’allument un à un, attirant les moustiques qui se détournent dès lors des spectateurs. Lorsqu’à la fin d’un doux Sonnet de Petrarque de Liszt, un avion passe plutôt qu’un ange, elle l’intègre à son interprétation, comme si cela avait été répété ainsi. Apercevant la lune, pleine et resplendissante dans un coin du jardin, elle s’émerveille d’un rire spontané, avant de servir Bellini une dernière fois, non pour la Casta diva de Norma, mais pour La Somnambule, déjà plongée dans ses songes, emmenant le public dans son imaginaire.
Le pianiste Vincenzo Scalera semble parfois perdu dans ses partitions (sans l’être vraiment), mais reste attentif à sa partenaire, tissant un tapis langoureux sur lequel Pretty Yende n’a plus qu’à allonger sa voix, ou sautillant littéralement sur son tabouret au rythme des vocalises de la soprano. Ses chaussures vernies se font la plupart du temps douces sur les pédales, abrégeant toutefois certaines notes sans les laisser s’épanouir. Dans la Danse Sibérienne de Rossini, ses doigts dansent sur le clavier au rythme des phrases syncopées et chaloupées.
Pretty Yende amuse encore son public en bis avec « Art is calling for me » extrait de L’Enchanteresse de Victor Herbert. Quelques jours après son Elixir d’amour aux Chorégies d’Orange (lire notre compte-rendu), elle conclut son récital en chantant « J’ai deux amours, mon pays et Paris » (de Vincent Scotto, initialement interprété par Joséphine Baker). Versailles le lui rend bien. Debout.