Exposition à la Philharmonie de Paris : le Mythe Ludwig van Beethoven à travers les époques et les cultures
Le titre de la première salle, ainsi que son contenu, résument l'enjeu majeur de cette exposition Beethoven : "Consécration ou dilution ?" Des vidéos y sont projetées, montrant la musique de Beethoven chantée par une tribu africaine, employée dans une publicité pour du fast-food ou une banque, le tout entrecoupé par un sketch de Desproges sur les "Pommes Pommes Pommes Pommes" ou bien un dessin animé de Snoopy. Ce thème de la puissance malgré l'omniprésence sera le fil rouge de l'exposition : on reste bouche bée devant ce Génie Absolu, ce Mythe qui traverse tous les arts (musique, peinture, sculpture, littérature, cinéma, vidéo, multi-média, etc.) et l'Histoire de l'Humanité. Les pièces de l'exposition montrent et font entendre l'influence qu'a exercée Beethoven, depuis Mendelssohn jusqu'à Léo Ferré, des Variations de Schumann aux Variations Jazz de Jacques Loussier ou aux variations de dessins, peintures et sculptures, de Liszt à Orange mécanique et à la musique électroacoustique de Pierre Henry ou au métal industriel de The Cosa Nostra Klub. Une large place est aussi réservée aux liens entre le cinéma et Beethoven (notamment aux chefs d'œuvre expressifs d'Abel Gance) et de très longues projections brossent un tour du monde des films empruntant sa musique.
Beethoven en bande-dessinée (© Biblioteca Beethoveniana - Collezionz Carrino)
La partie centrale de l’exposition s'intéresse au Mythe Beethoven, qui a fasciné comme un Dieu : une salle nommée "1827 Du trépas à l’immortalité" présente littéralement les reliques de ce "Saint" (sa canne, sa cuillère, le cornet acoustique avec lequel il essayait de continuer à entendre, des cheveux !). Une autre pièce abrite ses masques mortuaires, avec également des peintures croquées sur son lit de mort, un carton d'invitation pour ses funérailles ou les partitions des musiques qui y furent jouées. Avant de pénétrer dans ce Saint des Saints, dans cette chambre mortuaire, le visiteur se recueille dans une chapelle : une salle circulaire qui est une station d'écoute où des haut-parleurs entourent et noient le mélomane d'un son mélancolique. Un banc permet de s'asseoir pour s'immerger dans le sublime du Deuxième mouvement Allegretto de la Septième Symphonie. Dans les expositions, les visiteurs profitent souvent des (rares) occasions qui leur sont données de s'asseoir, mais cette offre de délassement est ici une sorte de piège puisque le mélomane fourbu est assuré de fondre en larmes (ce que nous avons constaté et vécu), ainsi plongé dans la sublime Marche funèbre. Une brève citation du dramaturge Grillparzer est inscrite en hauteur : « Ainsi fut sa mort, ainsi vivra-t-il jusqu'à la fin des temps. » Un sobre cartel rappelle que ce mouvement fut récemment employé dans l'hommage rendu en France aux victimes du terrorisme.
Immergé dans le son de Beethoven, on se rend bientôt compte que le mouvement de symphonie n'est pas donné dans l'intégralité de ses 10 minutes. Seul le début de cette marche est répété en boucle, obstiné, lancinant, toujours dans la même version du Philharmonique de Vienne dirigé par Kleiber en 1976. C'est alors que l'enjeu de l'exposition s'incarne en une question : comment une musique entendue tant de fois, accompagnant les épisodes de l'Humanité comme la vente des produits les plus prosaïques peut-elle encore nous émouvoir ? On se rend alors compte que le volume des musiques diffusées dans les différentes salles est tel, que les sons se mélangent. Les passages les plus extraordinaires jamais composés accompagnent les bruits publicitaires dans un amas de sons. C'est là une métaphore de l'enjeu de l'exposition et, au-delà, de la place omniprésente, écrasante de Beethoven dans notre culture, le symbole du génie musical qui a envahi la société jusqu'à l'extrême.
Des espaces dédiés à la surdité de Beethoven insistent ensuite sur ce handicap qu'il vécut comme une malédiction et qui plongea le musicien dans une dépression de misanthrope. C'est aussi l'occasion de découvrir une installation ingénieuse et tout à fait étonnante : Silence en mi majeur de Samuel Aden qui permet d'entendre la musique, comme Beethoven une fois devenu sourd aurait sans doute pu l'entendre, sans les oreilles ! En collant le front, la joue, le menton ou tout autre partie de la tête contre un fil de fer vibrant, notre boite crânienne devient une cage de résonance et l'on entend très distinctement une musique qui est inaudible avec les seules oreilles.
Le cornet acoustique de Ludwig Van Beethoven (© Beethoven-Haus Bonn)
Les souffrances de ce Génie, adulé de son vivant, canonisé dès sa mort et à l'image omniprésente dans nos cultures en font une figure christique. Les différents dessins, peintures et sculptures le présentent ainsi en héros rayonnant sur l'humanité, le visage aux traits puissant et érigé dans des monuments massifs. La figure démiurgique, le regard franc amènent vers les récupérations politiques à travers l'histoire. Là encore, Beethoven est partout : revendiqué, dans des images d'archives, aussi bien par les nazis (avec beaucoup de difficultés : l'encart réservé à Fidelio, le seul opéra de Beethoven, nous le montre comme une dénonciation du carcéral et ce jusqu'aux camps de concentration), que par les pacifistes du mouvement européen qui firent de la Neuvième Symphonie l'Hymne du projet politique continental (mais, ironie de l'histoire, dans une version de cette symphonie arrangée par Karajan, le chef d'orchestre qui avait été membre du parti nazi entre 1935 et 1945). Cette Neuvième légendaire accompagne aussi bien la chute du Mur de Berlin, la révolution Ukrainienne (chantée sur la place Maidan avec texte réadapté en ukrainien), l'inauguration de François Mitterrand au Panthéon en 1981 que les manifestations de l'AFD allemand s'opposant aux migrants en novembre dernier. La musique de Beethoven inaugure les Jeux Olympiques de 1936 avant d'être chantée par une fanfare d'Indiens Navajo.
Ludwig Van Beethoven par Juan Gyenes (© VEGAP-ADAGP - Paris 2016)
Enfin, l'exposition se termine par la salle "Réinvestir Beethoven. Un défi formel" dans laquelle des œuvres d'artistes contemporains questionnent la place du créateur et de son œuvre. Surtout, ils posent cette question qui a hanté tous les musiciens et notamment les nombreux qui abandonnèrent l'idée de composer une neuvième symphonie : comment créer après Beethoven ? Deux optiques sont alors possibles : le besoin de destruction, de table rase qu'incarne une vidéo de Nam June Paik, membre du mouvement Fluxus, dans laquelle il brouille l'image du Quatrième concerto pour piano de Beethoven, jusqu'à brûler la pellicule (suivant en cela la maxime du compositeur Stockhausen : « éliminer la musique traditionnelle »). Autre voie, constater la saturation de Beethoven, la représenter pour la réinventer : dans Strugling to hear, Idris Khan imprime ainsi toutes les sonates de Beethoven sur une seule page, dans un excès d'encre devenu illisible.
Ludwig Van Beethoven par Andy Warhol (© The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc-Adagp, Paris-2016-BD)
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