L’Odyssée de Jules Matton enchante l’Opéra de Limoges
« L’Odyssée : pièce pour 12 paysages, solistes, quatuor à cordes et orphelins » annonce d’emblée un écriteau en fond de scène. Le ton est donné, pour cette œuvre originale, créée en 2018 au Théâtre Impérial de Compiègne, sur un livret de Marion Aubert, adapté d’Homère. L’opéra est conçu pour un effectif restreint : 3 solistes (soprano, ténor, baryton), un chœur d’enfants et un quatuor à cordes faisant office d’orchestre. Par conséquent, pas de chef dans la fosse : les instrumentistes auto-dirigés jouent sur la scène au côté des chanteurs. Le Quatuor Debussy s’acquitte de ce rôle, accompagnant, dialoguant parfois avec le chœur, distillant le fond sonore où s’alternent des harmonies ambiguës, tantôt diaphanes, tantôt tempétueuses. Il en ressort un climat intimiste et troublant.
Mettant en avant le thème de l’enfance, l’adaptation de la librettiste Marion Aubert fait (autant que possible) abstraction de la violence du texte original. L’intrigue est recentrée sur Télémaque, fils abandonné d’Ulysse, attendant avec rancœur le retour de ce père qu’il n’a pas connu. Les dialogues sont écrits dans un langage enfantin, familier, émaillé de citations d’Homère. Le ténor Fabien Hyon incarne ce Télémaque, adolescent tourmenté, en faisant montre de sa palette expressive. Sa voix est puissante, rugissante parfois, ancrée dans un solide médium poitrinaire, qui glisse vers un « parlato » (façon de chanter qui imite la voix parlée) grinçant et moqueur. Il sait également affiner son timbre pour percher des aigus à fleur de voix.
Toute l’œuvre est conçue comme un dialogue entre Télémaque et ses camarades incarnés par le chœur, secondés par Mentor et Athéna. Ceux-ci tentent de le consoler en jouant devant lui les aventures d’Ulysse. Ils lui montrent ainsi que son père est un héros. Ulysse brave les dangers de la mer, les Lotophages, la magicienne Circé, le Cyclope (dont la voix modifiée informatiquement est pré-enregistrée et diffusée).
La mise en scène de David Gauchard parvient à suggérer un voyage à partir de quelques éléments : un drap symbolisant la mer, une arche représentant successivement le cheval de Troie, l’entrée de la caverne du Cyclope, les portes du palais de Circé. Les différents chapitres du voyage sont annoncés sur le panneau en fond de scène par les projections numériques de David Moreau, sous les éclairages changeants de Christophe Chaupin.
Le baryton Laurent Deleuil incarne le double rôle ambigu de Mentor et d’Ulysse joué par Mentor. Presque toujours présent sur scène, il s’acquitte d’une partition difficile, proche de la voix de tête. Sa ligne est claire, proche de la tessiture de ténor. Le timbre caressant et bien lié sert l’éloquence du personnage. Il sait trouver un ton consolateur dans le duo avec Télémaque, qui achève de réconcilier le fils avec son père.
Jeanne Crousaud prête aux rôles féminins (Athéna et Pénélope entre autres) son timbre de soprano ample et riche, lumineux dans l’aigu, corsé dans le médium. Son rôle l’expose d’emblée à de grands écarts de notes, qu’elle exécute avec souplesse. Le personnage de Circé l’amène à déployer une voix plus menaçante et princière.
Enfin, le chœur d’enfants est un véritable protagoniste, dont la cohérence fait de lui une entité à part entière. L’ensemble est dense mais uni, avec de beaux contrastes entre voix aiguës et médium. Également impliqués dans le jeu théâtral, les jeunes choristes dansent, miment des bateliers, accompagnent les musiques de passages onomatopéiques : bruits de gouttes et rires enfantins. Il est visible qu’ils s’amusent sur scène, tout en restant concentrés, dirigés par la cheffe Ève Christophe, présente sur scène mais dans l’ombre de la coulisse.
Plusieurs groupes scolaires venus assister à cette représentation donnée en milieu d’après-midi ne manquent pas d’applaudir ce spectacle surprenant, conçu spécialement pour un public jeune.