Les Aventures du roi Pausole par Opéra Junior à Montpellier
Il est toujours étonnant et savoureux de rencontrer dans un opéra un écho à l’actualité. Lorsqu’à la fin de l’acte II, le chœur entonne les couplets pacifistes : « à ton voisin, il ne faut jamais nuire », tout le public de l’opéra de Montpellier applaudit. Arthur Honegger et son librettiste Albert Willemetz ont d'ailleurs créé leur œuvre en 1930. L’intrigue, tirée d’un roman de Pierre Loüys, est légère et pleine de surprises : dans le pays imaginaire de Tryphème, le roi Pausole vit en paix avec ses trois-cent-soixante-cinq reines (une pour chaque nuit de l’année), jusqu’au jour où sa fille Aline fugue du château avec son amant. Il part à sa recherche, accompagné de son ministre Taxis et du jeune page Giglio.
Tous les interprètes sont jeunes et font montre de leurs talents comiques et musicaux. Tony Garnier incarne un roi débonnaire, avec une présence franche, une voix de baryton chaude et précise. Sa fille, la blanche Aline, est interprétée par Maïlie Ghilaci, soprano au timbre riche, à l’aigu puissant et à la prononciation soignée (elle recueille l’enthousiasme du public lors des saluts). Elle forme un duo attachant avec la mezzo Emma De La Selle, en Mirabelle la danseuse travestie, à la voix moins sonore mais tout aussi bien timbrée, au vibrato velouté, qui siérait aisément à Cherubino. Nadja Grände incarne quant à elle la reine Diane, favorite du jour frustrée de ses ardeurs, dont la voix de mezzo (presque contre-alto) emplit la salle de ses graves amples et sonores sur son air.
À leurs côtés, Léo Thiéry, ténor léger au médium caressant, à l’aise sur ses aigus de poitrine, joue un Giglio sémillant. Marceau Mesplé, l’autre ténor léger de la distribution, qui incarne le (faux) eunuque Taxis, démontre un peu moins d’aisance et de puissance, mais son timbre est élégant et son jeu d’acteur confère une dimension à ce personnage de cour, un peu vil et pathétique. Il a plus d’une fois l’occasion de faire rire les spectateurs comme dans son falsetto à la fin du premier air, chanté pour la gouvernante Dame Perchuque. Celle-ci est incarnée par Lily Barthélémy, appliquée sur son bref passage chanté au deuxième acte et du reste bien ancrée dans son personnage. Les six autres reines (Bérénice Diet, Léna Chevrot-Roche, Mélina Corniquet, Marina Gallant, Marlène Gaston-Epiter et Agathe Borges, ces deux dernières incarnant aussi les rôles secondaires d’une jeune femme et d’une étudiante), outre leurs interventions dans le chœur, offrent un « septuor des avis différents » entraînant et très en place musicalement et rythmiquement, à l’image de leurs collègues masculins, les cinq métayers (Eliott Kirkby, Tormey Woods, Valérian Dieu, Adrien Pillement et Gauthier Pillement). Enfin, ajout au livret d’origine, les deux conteurs, joués par Sacha Baron-Daltrozzo et Chézil Mansouri, apportent une touche « brechtienne » ainsi que l’éloquence de leurs timbres légers et leur diction appliquée.
La direction musicale énergique de Jérôme Pillement participe au tempo endiablé de l’opéra. L’Orchestre ne compte qu’une trentaine de musiciens, mais résonne amplement, notamment le pupitre des cuivres. Le travail de la direction de chœur de Laetitia Toulouse et Vincent Recolin est également perceptible, et dénote un soin porté au texte, à l’expression et aux nuances. La cohésion et l’énergie débordante du groupe est bien perceptible.
La mise en scène de Damien Robert fourmille d’inventions, de farces et de clins d’œil à l’actualité. Par exemple, la révolte populaire au deuxième acte est l’occasion de faire défiler une galerie de personnages féminins brandissant des slogans féministes. Le public s’amuse aussi de voir les lettres du nom de Pausole se mélanger pour former « Sale pou ». Le jeu déborde de la scène, investit l’orchestre et les loges. Les décors sobres de Thibault Sinay (escaliers, fausses coulisses en rideaux qui encadrent la scène) permettent à la jeune troupe d’investir tout l’espace, sous les éclairages de Mathieu Cabanes. Enfin, les costumes d’Irène Bernaud mêlant plusieurs époques, soulignent le caractère des personnages.
Lors des saluts, la salle résonne sous les martèlements de pieds enthousiastes des spectateurs, jeunes pour la plupart. Beaucoup expriment leur agréable surprise après cette première expérience à l’opéra.