Les terribles échos de Lohengrin à Londres
Les événements politiques d'alors ont fait que Wagner n'a pas entendu la première de Lohengrin à Weimar en 1850 (et pas avant 1861 à Vienne). Les tragédies actuelles auront sans doute rarement autant résonné avec une mise en scène. Les rives du Scheldt sont ici transformées en une ville d'Europe centrale déchiquetée par les bombes, avec des bâtiments dévastés. Seule la première moitié du troisième acte (la marche nuptiale d'Elsa et de Lohengrin) s'écarte de cette tinta post-apocalyptique et les décors sont paradoxalement un peu allégés par le cygne monumental au fond de la scène à l'acte II puis épurés par les drapeaux totalitaires à l'acte III.

Les costumes de Gideon Davey sont uniformément sombres, à l'exception de l'omniprésente blancheur pour Lohengrin et de la tenue de mariage d'Elsa, ainsi que d'occasionnels éclats de bleu pour Telramund et d'hermine rouge et blanche pour Heinrich lorsqu'il juge le combat entre Lohengrin et Telramund. Les éclairages et la vidéo (respectivement d'Adam Silverman et Tal Rosner) jouent un rôle-clé dans les scènes d'ouverture et de clôture impliquant le cygne, largement métaphorique.

La production transmet puissamment l'image d'une ville attaquée, à la fois dans les paysages urbains et les huis clos, le tout soutenu par l'intensité des interprètes. Jennifer Davis manifeste à chaque instant sa connaissance du rôle d'Elsa et de cette production à laquelle elle participait en 2018. Son soprano est pleinement adapté au(x) caractère(s) : pathétique et vulnérable, puis intrigant et manipulateur, enfin détruit. Le timbre cohérent sur toute la tessiture est associé à un phrasé sensible et à des articulations pointues, notamment dans ses échanges avec Ortrud. Celle-ci, incarnée par Anna Smirnova, offre un mezzo-soprano fort en contraste dynamique, puissant lorsqu'il est opposé à la puissance de l'orchestre de Covent Garden. Son fugace moment de triomphe sur fond d’instruments à cordes martelées à l'orchestre, martèle son message et le souvenir qu'imprime l'interprète (au point de presque faire regretter que Wagner interrompe ce relativement long solo d'autojustification du personnage).

Brandon Jovanovich offre au rôle-titre les qualités d'un Heldentenor mais délivre aussi des pianissimi qui suspendent le souffle de tout l'auditoire. Entre pleine puissance et réelle poésie (et vice versa) et avec une indéniable présence scénique, ses articulations, phrasés et lignes déclamatoires pourraient cependant offrir davantage de précision.

Le Roi Heinrich de Gábor Bretz suscite davantage de perplexité dans l'auditoire et aux saluts, son émission vocale semblant moins une volonté de dépeindre la faiblesse du monarque que l'effet d'une projection limitée. Ses phrasés s'appuient donc sur la déclamation.

Friedrich von Telramund a le baryton flexible de Craig Colclough, avec un contrôle fin de la dynamique et de l'articulation qui sert à passer du simple antagoniste à la victime torturée et culpabilisée (une caractérisation fine qui donne envie de voir l'interprète en Scarpia). Derek Welton s'impose en héraut à l'égal des autres voix de baryton-basse wagnérien (Klingsor, Donner, Wotan), livrant d'impeccables lignes soutenues, présentes, puissantes et projetées.

L'Orchestre de l'Opéra Royal de Londres est porté par la grande forme des cuivres (sur scène et en dehors), explosifs dans de nombreux passages tandis que les chefs des pupitres de hautbois, flûte et clarinette déploient d'exquises lignes. Jakub Hrůša dirige ces ensembles avec une grande habileté, par sa maîtrise constante des différents rythmes. Comme à son habitude, le Chœur maison dirigé par William Spaulding assume avec assurance les nombreux changements de costumes et d'idiomes musicaux.

Lohengrin se conclut dans un déchirement tragique, déchiré ici par un environnement guerrier moderne, mais l'intensité de cette production et de ces résonances est intensément saluée par le public de Covent Garden.