L'Elixir d'amour célèbre le vin de Bordeaux à l'Opéra de Bordeaux
Après son succès à Lausanne et ses différentes reprises intervenues depuis lors à Monte-Carlo en 2014 ou plus récemment à Tours en 2018 (notre compte-rendu), cette production de L'Élixir d'amour se devait légitimement de fouler les planches de l’Opéra National de Bordeaux. En effet, le fameux Elixir miraculeux du Docteur Dulcamara se révèle être ni plus ni moins que du vin de Bordeaux, et le meilleur du cru ! Adriano Sinivia et ses collaborateurs -Cristian Taraborrelli pour les décors, Enzo Iorio créateur des costumes et Fabrice Kebour pour les lumières-, inventent un monde lilliputien où les protagonistes s’agitent aux travaux des champs entre des épis de blés gigantesques et des coquelicots démesurés, le tout dominé par une immense roue de tracteur qui sert de refuge aux amoureux. Des projections en fonds de scène d’animaux plus gros que les humains -des libellules aériennes, des rats des champs et même une vache-, animent l’action sans jamais faire peser la moindre menace. Tout concourt à l’amusement et bien entendu augure d’une fin délicieusement heureuse : pour ce spectacle poétique, Adriano Sinivia use de la tendresse et fait souffler comme un vent d’optimisme bienvenu en ces temps pesants.

L’Opéra de Bordeaux affichant 8 représentations en 10 jours, deux distributions vocales ont été constituées sous la baguette de la toute jeune cheffe d'orchestre italo-turque, Nil Venditti. Cette dernière, certainement portée par un enthousiasme légitime, a tendance à accélérer le mouvement et à accentuer les effets, bousculant un peu une partition qui sollicite plus de légèreté et de couleurs. Le début du deuxième acte notamment, très appuyé dans ses effets, prend sous sa direction une allure histrionique.

Kevin Amiel s’est déjà distingué dans le rôle de Nemorino au Théâtre du Capitole de Toulouse juste avant le premier confinement. Il aborde le rôle avec toute la naïveté et la sincérité requises par le personnage, complétant sa prestation par une fougue scénique de chaque instant lui permettant même de grimper avec dextérité le long des épis de blés. Au plan musical, la voix s’échauffe tout le long de la soirée pour aboutir à une interprétation remarquable de tenue d'Una furtiva lagrima. La voix ronde en soi sait user du legato et imprime sa jeunesse. Toutefois, la ligne de chant pourrait être plus accomplie sur la totalité du rôle, plus aboutie et pleine par l’appui plus permanent du souffle. Sa prise de rôle d’Almaviva dans Le Barbier de Séville de Rossini le mois prochain au Capitole de Toulouse sera à suivre avec attention (et sera suivie par Ôlyrix).

À ses côtés, l’Adina de la soprano sud-africaine Golda Schultz fait valoir une voix aux couleurs mordorées, souple, voire pulpeuse, qualités relayées par une présence scénique pleine d’allant, de mordant et charme naturel. Le Belcore du baryton Samuel Dale Johnson développe tous les travers de ce militaire habitué aux histoires faciles et immédiates, bombant le torse comme il convient et avec humour. La voix bien conduite possède un timbre un peu clair, mais la projection en salle est satisfaisante. Giorgio Caoduro campe un Dulcamara aux moyens imposants, aux aigus tenus avec facilité. Son baryton semble s’épanouir un peu plus tout au long de la représentation, proposant un portrait certes bouffe du personnage, mais toujours soucieux de conserver une ligne maîtrisée.

Sandrine Buendia, voix de soprano fraîche et proche de Despina, peine à se faire pleinement entendre en Giannetta face à un orchestre très (voire un rien trop) présent. Le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux préparé avec soin par son chef Salvatore Caputo s’amuse sans oublier pour autant de bien et pleinement chanter.
Un beau succès d’ensemble vient saluer cette première représentation (il en ira de même le lendemain pour la deuxième distribution).
