Spectaculaire Passion selon Saint Matthieu à La Seine Musicale
Pâques est un événement essentiel dans la liturgie chrétienne et dans le calendrier musical, notamment dans l’Europe du XVIIIe siècle. Avant la résurrection du Christ, sa Passion, son arrestation et sa crucifixion inspirent notamment Jean-Sébastien Bach : en tant que Cantor de Leipzig et à l’occasion du Vendredi Saint, il dispose de moyens supérieurs à l’ordinaire. Bach a même l’idée d’utiliser les deux tribunes de l’Eglise Saint-Thomas pour la création de cette Passion selon Saint Matthieu le 11 avril 1727 : le face-à-face des deux chœurs créant ainsi une spatialisation sonore qui n’a pu laisser indifférente l’assemblée de fidèles (et même rencontrer un mauvais accueil, avec une telle intensité).
Profitant de la richesse que peut offrir l’Auditorium Patrick Devedjian à La Seine Musicale, tant acoustiquement qu’en matière de dispositions, Leonardo García Alarcón propose donc d’amplifier cette idée du compositeur en plaçant les chœurs à différents endroits de la scène et de la salle. Il en ressort une multitude d’expériences sonores, suscitant surprise et émotion. Les entrées et les sorties ont également été minutieusement travaillées pour que jamais le discours global de l’œuvre ne soit rompu, ni même vraiment perturbé.
Surgissant du troisième rang, alors qu’il dirigeait les maîtrisiens de Radio France (eux-mêmes s’étant levés dans un effet de surprise pour le choral du chœur d’introduction), le ténor Valerio Contaldo est investi en Evangéliste, narrateur d’intentions de plus en plus intenses au fur et à mesure qu’approche la crucifixion. S’installant définitivement côté jardin auprès du continuo, sa voix est sûre, toujours conduite avec une brillance de timbre, voire parfois des scintillements lui permettant de porter un texte clair avec une interprétation éloquente.
La voix grave, ronde, tendre et parfois même autoritaire de Jésus est celle de Thomas Bauer, debout au milieu de l’orchestre, parmi les musiciens comme Jésus était parmi les hommes. Lors de la seconde partie, alors que la foule et les grands-prêtres l’accusent, il se retrouve devant l’orchestre, esseulé car abandonné.
La soprano Ilse Eerens (remplaçant Ana Quintans) propose des airs à la prononciation particulièrement soignée, au risque de perdre, presque, en fluidité dans ses lignes. La lumière feutrée qui s’échappe de sa voix apporte une tendresse qui, malgré quelques manques de souffle, parvient à suspendre le temps, particulièrement lors de l’air "Aus Liebe will mein Heiland sterben" (Par amour, mon Sauveur mourra). La mezzo-soprano Dara Savinova fait résonner ses graves cuivrés avec fermeté depuis sa poitrine, dans le cadre d’une présence équilibrée par des phrasés souvent très caressants, conduits et soignés. Un léger accent trahit son origine balte sans que son texte n’en pâtisse.
Le ténor Fabio Trümpy connaît bien cette œuvre, au point de chanter sans partition et surtout d’affirmer son interprétation très réfléchie et personnelle. D’une lumineuse clarté de timbre, sans jamais forcer sa projection, il s’investit émotionnellement et vocalement, tout en gardant une présence physique sobre et retenue. Sa sensibilité produit une ligne volontairement accidentée pour se rapprocher au plus près et avec sincérité de sa propre fragilité humaine. Enfin, la voix de la basse Christian Immler se fait présente et profonde, d’un timbre ténébreux. Il offre un texte très compréhensible et des vocalises agréablement précises, sûr et sans tomber dans l’imploration.
La direction de Leonardo García Alarcón se montre fidèle à ses habitudes : active sans superflu, attentive sur tous les plans sans tomber dans la précipitation bien au contraire pour maîtriser l’union des différents ensembles spatialisés avec son contrepoint parfois complexe (le tout en affichant une humilité patente au service de la musique). Le travail effectué avec le Chœur de chambre de Namur et le Chœur de l’Opéra de Dijon allie homogénéité et synchronisation très précise malgré les distances et les isolements. Quelques légères aspérités subsistent à mesure que les artistes du chœur s’approchent des auditeurs mais même l’aria de tempête dompte les courants en suivant les gestes amples et précis : ramenant à bon port et même vers un havre de paix avec quelques interventions angéliques en solistes d’artistes du chœur, clairs, présents et phrasés.
Les musiciens de La Cappella Mediterranea font pour leur part entendre les nuances et caractères d’un timbre très net, avec grain et acidité, au service de traits très précis. Ils sont forts applaudis notamment la violoniste Alfia Bakieva (sur un violon de Francesco Rugeri de 1680, dont le grain de son est particulièrement savoureux), son collègue Yves Ytier pour son accompagnement agile, la violiste Margaux Blanchard ou encore le flûtiste Serge Saitta également remarqués.
Encore entouré des artistes des chœurs, le public exprime son ravissement en saluant chaleureusement cette interprétation spectaculaire, porteuse de la puissance dramatique de cette Passion de Bach.
[les artistes invités] Ce soir à @LaSeineMusicale la Passion selon saint Matthieu est interprétée par @cappellamediter @ChoeurdeNamur le chœur de l @OperaDijon @MaitriseRF sous la direction de Leonardo García Alarcón pic.twitter.com/V9yUmrKLv4
— Insula orchestra (@InsulaOrchestra) 30 mars 2022