Phaéton à Nice : un soleil sans révolution
En mars 2020, alors que les répétitions avec orchestre de ce Phaéton s’apprêtaient à débuter à l’Opéra de Nice, le premier confinement frappait provoquant l’annulation de la production. La symbolique de cette nouvelle aurore culturelle, presque sans masques, est donc forte et se prolonge sur scène grâce à la tournette imaginée par Bruno de Lavenère, astre solaire animant le plateau, qui fut reprise dans la scénographie d’Akhnaten (première production de la direction de Bertrand Rossi, dont la création publique fut elle aussi décalée pour raisons sanitaires).
Dans cette production d’Eric Oberdorff, cette tournette effectue de lentes révolutions, amenant les personnages sur le front de scène, ou bien se soulève, formant crevasses ou précipices. La scénographie reste sobre et sombre sans que jamais l’éclat du Soleil, dieu pourtant au cœur de l’intrigue, n’illumine le plateau. De cette sobriété émane un onirisme poétique et moderne, dont les seules réelles surprises sont provoquées par les deux artistes circassiens aux impressionnantes prestations. Les chorégraphies confiées à La Compagnie Humaine sont bien exécutées, mais sans grande originalité.

Une autre curiosité de cette production réside dans la fosse, la partition étant confiée à l’Orchestre Philharmonique de Nice et non à un ensemble spécialisé comme il est de coutume. Placés sous la direction de Jérôme Correas (qui danse et chante avec ses musiciens qu’il guide d’une gestique didactique) et épaulés par le continuo des Paladins (dont ce dernier est le fondateur), la phalange maison s’adapte bien, jouant avec les dissonances, et trouvant la légèreté, les accents et la rythmique pulsée baroques qu’un surplus de basses structurerait certes davantage. La partition de Lully, où le récit prédomine, permet en outre au chef la construction d’une dramaturgie musicale aboutie. Le Chœur de l’Opéra de Nice s’adapte plus difficilement au style, notamment du fait de vibratos excessifs, en particulier chez les femmes. Les artistes souffrent en outre de leur éloignement sur plusieurs scènes (lorsqu’ils sont en loges ou répartis sur le plateau) ce qui nuit à leur homogénéité.
Mark van Arsdale interprète le rôle-titre de sa voix très claire et chaude, au vibrato court et rapide en fin de phrase. Lorsqu’il pousse sa projection, la voix s’élargit mais perd en justesse. En revanche, les passages plus subtils sont mieux maîtrisés (tout comme l’air d’Ottavio interprété avec musicalité le lendemain matin dans le cadre de l’opération "Viens avec ton smartphone"). Sa diction française est honorable, bien qu’il mange certaines syllabes.
Deborah Cachet prête sa voix légère mais projetée à Théone (amante déçue de Phaéton). Son timbre pur voltige sur une ligne vocale virevoltante, prenant appui sur un vibrato fin et véloce. Sa prosodie est impliquée et précise : elle se montre touchante et capable d’une grande délicatesse. Chantal Santon Jeffery met au service de Libye (la fille du Roi d'Egypte, promise à Phaéton) son expertise stylistique en matière de tragédies baroques. Sa voix est chaude et souple, son vibrato rond, sa ligne bien définie.

Gilen Goicoechea chante le rival Epaphus d’une voix au timbre riche, couvert et lumineux, avec un vibrato bien présent. Fils de Jupiter, le personnage est servi par une voix tonnante, aux graves particulièrement ronds et chauds. Arnaud Richard est successivement Protée puis Jupiter. Sa voix ferme et projetée, émise depuis les profondeurs de son instrument, dispose de graves sûrs au timbre mat. À l’aise, il assume les mouvements chorégraphiques requis par la mise en scène avec fluidité. Saturne dans le Prologue puis Merops (Roi d’Egypte et père de Lybie), Frédéric Caton voit d’abord son registre aigu sollicité, mais s’appuie bientôt avec plus d’aisance sur ses graves fermes et lumineux.

Jean-François Lombard peine d’abord à tenir sa ligne vocale, celle-ci venant se briser lors des passages de registres en Triton. Mieux calé dans son registre mixte dans les rôles du Soleil et de la Terre, il offre une ligne plus sobre et plus sûre. Aurélia Legay interprète Clymène (la mère de Phaéton) ainsi qu’Astrée dans le Prologue d’une voix charnue aux graves reluisants mais aux aigus métalliques et déstabilisés par un vibrato trop relâché. La maîtrise du style est en revanche à souligner.
Aux saluts, les voix graves masculines sont particulièrement fêtées, l’ensemble des protagonistes bénéficiant toutefois d’un accueil chaleureux.