Re : Les Monstres à L'Autre Scène d'Avignon
Le spectacle commence avant même que le public ne s’en rende compte, une voix off appelant sur scène les comédiens, mais aussi des accessoiristes et d’autres personnes. Le décor de Stephan Grögler et les lumières de Florent Blanchon remplissent la scène de couleurs, de contrastes et de formes irrégulières donnant un avant-goût de la suite. De nombreux objets, éparpillés par-ci par-là, serviront tout au long de la pièce à faire de la musique et accompagner les folies des comédiens. Les costumes d’Annick Amirat et Stephan Grögler, dans la même ligne que les décors, plus extravagants et colorés les uns que les autres, rappellent un peu les personnages du Dr. Seuss.
Le spectacle n'en est pas moins une critique sociale, représentée avec humour et habileté dans un défilé de personnages historiques ou religieux, imaginaires ou de la vie de tous les jours, incarnant le mal (soit par leur caractère, soit par leur réputation) : Quasimodo, Richard III, Dracula, Jack l’Éventreur, et même Belzébuth et ses démons, côtoient ainsi le client qui ne se décide jamais et la vendeuse impatiente qui va avec. Le défilé prête à rire mais aborde aussi (avec tact) des sujets très délicats : la maladie terminale d’un proche, la pédophilie dans certaines sphères de l’Église, la tragique mort de migrants africains noyés dans la Méditerranée, comme autant de monstruosités accablant notre monde avec plus ou moins d'indifférence.
Le comédien Dominique Pinon (notamment connu par sa carrière cinématographique où il a incarné bien des monstres) traduit tous ces aspects avec énergie et dynamisme, à l'image de ce spectacle qui attire l'œil pour mieux éveiller les esprits. Les personnages qu'il incarne, traduisant son amusement, sont souvent espiègles et taquins, provoquant régulièrement des éclats de rire parmi le public.
La soprano Gaëlle Méchaly chante avec une expressivité pétillante et une prestance qui contribue à l’ambiance joueuse et gaie de la pièce. Son timbre frais et son élégant vibrato sont mis avec souplesse au service de ses différents personnages, et de leurs différents caractères (plus légers ou plus tragiques). Le baryton Paul-Alexandre Dubois montre également ses dispositions d’acteur. Très convaincu et drôle, plein de dynamisme et de charisme, il déploie une grande puissance vocale, résonnant dans toute la salle (malgré un vibrato très léger, presque inexistant). La projection et le soutien servent ainsi la voix chantée autant que la voix parlée.
La musique et les effets sonores sont assurés par le singulier quatuor de tubas français Opus 333 (Corentin Morvan, Jean Daufresne, Patrick Wibart et Vianney Desplantes). La musique circassienne trouve en eux le dynamisme nécessaire pour accrocher le public, avec une technique flamboyante et une musicalité séduisante (outre, bien entendu, l'énergie dont ils disposent). Ils participent aussi à la pièce, et interagissent ainsi avec les acteurs et chanteurs, incarnant les démons, des clients de la boulangerie (qui eux, savent ce qu’ils veulent) et d’autres personnages secondaires comme autant de clins d’œil et d'occasions de faire de la musique avec tout ce qu’ils ont à portée de main (seringue, pièce, ventouse) et même, d’imiter le bruit de la mer avec leurs tubas.
La galerie des monstres s'élargit finalement de plus en plus (femme sordide, frères mesquins, sœurs méchantes, cousine amère, cousin poltron, mari infâme, épouse étouffante, oncle trop tactile, grand-père grincheux, grand-mère médisante, tatillonne, menteuse, tricheuse, mielleuse, etc.) intégrant même le public, le questionnant sur sa propre part de méchanceté et de responsabilité, consciente ou inconsciente.
Le public applaudit le spectacle avec enthousiasme (notamment Dominique Pinon) et durant plusieurs minutes.