Tableaux vocaux dans une exposition par l'Académie Orsay-Royaumont
Ces trois duos (le quatrième de ce programme annuel étant hélas indisponible pour cette occasion) partagent de nombreux points communs : leur jeunesse, les promesses de leur carrière aux couleurs et impressions d'un soleil levant, leur enthousiasme et application conjugués pour interpréter les morceaux et en présenter les liens avec les tableaux choisis. Les trois pianistes ont en partage leur implication instrumentale et leur application dans l'accompagnement, tandis que les trois voix montrent l'étendue de leur lyrisme et du travail accompli sur la prosodie française (bien moins dans les autres langues).
Néanmoins, les interprètes se distinguent d'ores et déjà, par leurs caractéristiques respectives et certaines qualités déjà très accomplies (d'autres restant à travailler, ce qui est justement l'objet d'une Académie). Les trois duos ont d'ailleurs été accompagnés par des spécialistes, aussi bien musicalement avec Bernarda Fink et Anthony Spiri, qu'avec les conseillers artistiques et scientifiques Sarah Hassid et Thibaut Mihelich pour les liens avec les tableaux.
Chaque duo noue ainsi une thématique forte dans son mini-récital. Dans la Salle 36 dédiée au "néo-impressionnisme", la mezzo-soprano Florence Losseau et la pianiste Elenora Pertz (d'ailleurs habillées en noir) jouent devant L'Air du soir peint par Henri-Edmond Cross, en traversant musicalement l'Harmonie du soir de Debussy et le Rêve à travers le crépuscule de Strauss, jusqu'à la Nuit de Berg. La chanteuse déploie l'ample lyrisme de son médium sur un appui vigoureux, au fond de voix un peu engorgée mais dont les aigus ne s'aiguisent que pour traduire le sanglot. L'ampleur, la palette et le vibrato s'accroissent encore davantage pour Strauss, tandis que la prosodie approche la surarticulation dans la Nuit de Berg. Penchée sur sa partition, la pianiste, toujours souriante et même ravie, sait pleinement jouer avec la légère résonance de la salle et l'attention de l'auditoire l'emplissant pour aller dans la finesse des résonances et jusqu'au pianissimo avec sa délicatesse digitale.
Dans la Salle 31, "Peindre la vie moderne", devant Les Raboteurs de parquet de Gustave Caillebotte, un autre duo évoque les enjeux sociaux de l'époque, également riche source d'inspiration en musique. La mezzo-soprano Anne-Lise Polchlopek déploie d'emblée sa voix vigoureuse et au vibrato intense, un peu tendue de gorge mais pas serrée. "Au fond de la Seine il y a de l'or" et "des larmes", chante la Complainte écrite par Maurice Magre, comme au fond de l'ample voix d'Anne-Lise Polchlopek il y a un timbre ample ou scintillant. La mélodie espagnole Nana de Sevilla trouve de claires limites dans le grave mais conserve la douceur du phrasé. Le pianiste Nicolas Royez affirme avec intensité les marches musicales et les ostinati de ces différents morceaux (composés par Lorca, Vaughan-Williams, Weill et Debussy : rappelant toute la richesse de cette Europe musicale et picturale).
Dans la Salle 6 dédiée à Courbet, en face de L'Origine du Monde et devant La Falaise d'Étretat après l'orage, Gregory Feldmann chante la mer, la barque, la vague et la cloche (Debussy, Caplet et Duparc) accompagné de Cameron Richardson-Eames au piano. Le baryton se fait guide, lisant son passionnant texte de présentation très soigneusement préparé (certes en anglais, ce dont il s'excuse en raison de son apprentissage en cours de la langue française, fait que nul ne saurait deviner en savourant son français chanté). Sa voix lyrique et sombre ressort dans un aigu cuivré, conservant toute la noblesse et rondeur dans le phrasé. Le pianiste également très vigoureux renforce encore la sonorité, du grave profond jusqu'aux aigus intenses, résonnant dans toute la voûte du Musée d'Orsay.
Les spectateurs de tous ces moments de musique picturale, venus expressément pour ce rendez-vous ou touristes aussi surpris qu'admiratifs devant ces prestations, se massent avec ferveur, debout ou s'asseyant par terre, avant de couvrir les musiciens d'applaudissements.