Pichon et Pygmalion, Résurrection et Ascension à l’Auditorium de Bordeaux
Après Nativité et Passion, Résurrection et Ascension sont réunies pour refermer tel un retable cette série de trois concerts consacrée à la Vie du Christ dans la musique de Bach, portés par Raphaël Pichon et son Ensemble Pygmalion en résidence à l'Opéra de Bordeaux.
L’Oratorio de Pâques et celui de l’Ascension sonnent ainsi comme deux grands points d’exclamation qui se transmutent en points d’orgue. Le potentiel dramatique et les textures de la musique nourrissent les interactions entre l’orchestre, le chœur et les solistes. Tous savent s’inspirer des richesses de ces pièces, y compris d’une dimension festive (celle de la bonne nouvelle) résonant aux trompettes et timbales, mais également les plaintes déchirantes réunies en tutti.
Le contre-ténor franco-britannique William Shelton est le troisième artiste engagé pour remplacer sur cette série Sara Mingardo souffrante. Sa tessiture contribue à dessiner la double nature du Christ, terrestre et céleste, mais aussi confiante et désespérée (le tout rehaussé par la composition des lumières signée Bertrand Couderc). Son timbre est délicat et lumineux, s’insérant avec douceur dans les ensembles, depuis une gorge souplement ouverte. Sa manière de donner quelques secondes supplémentaires à ses consonnes finales le constitue en personnage clairement individualisé dans l’Oratorio de Pâques tandis que son grand air de l’Oratorio de l’Ascension repose sur une construction dynamique par stances, qui fait de la douce supplique un impératif.
Huw Montague Rendall revient ce soir en Jésus avec l’assise de son baryton dans le bas de sa tessiture, qu’il creuse avec émotion sur des graves palpitants. Il arpente son timbre depuis sa grotte palatale et dépeint ainsi sa sortie vivante du tombeau ainsi que le miracle de l’Ascension. Les volutes des cordes frottées et des hautbois achèvent de sonoriser le déroulement de cette prière adressée à son Père. Julian Prégardien reconduit en Evangéliste les qualités essentielles des deux premiers soirs : il montre son art de l’incise et du phrasé avec un ressort agile et même alerte. Il retrouve son rôle, omniscient et surplombant, de narrateur en deuxième partie, particulièrement vive et découpée dans la distribution de la parole.
Le baryton Christian Immler, Pilate d’hier, endosse ce soir le personnage de Jean et d’une âme. Le souffle est plus nerveux, dynamique, jubilatoire. Sa partie vocalisée ne perd pas sa centralité incisive, faisant de lui un compagnon vocal solide. Sa diction devient encore plus implacable en deuxième partie, quand la lumière bleue vient l’auréoler et symboliser la séparation inéluctable d’avec Jésus. Le ténor Laurence Kilsby (une âme) intervient lors de courts duos et d’un air, sachant poser -parfois plonger- sa voix sur ses longs sons filés. Le legato exigeant en souffle lui fait toutefois perdre un peu de présence, notamment dans le bas de sa tessiture.
L’apparition de l’unique voix féminine (la soprano chinoise Ying Fang) est annoncée par les instruments aigus et soyeux de la petite harmonie, flûtes et hautbois. Ses volutes de métal sont déposées avec douceur et précaution sur ses consonnes finales. Elle produit une ligne rayonnante en plaçant ses aigus ou les articulations rapides de ses vocalises au niveau de ses pommettes, dont la tension est palpable, notamment quand ils sont exécutés pianissimo.
Raphaël Pichon intègre avec une grande délicatesse chaque soliste à la pâte collective de son ensemble, avec sa gestique plus nerveuse dans le répertoire tendu de la soirée. Ses deux bras forment parfois des cercles parallèles qui dessinent presque un huit couché, symbole de l’infini, tandis que de sa longue main gauche il élève le son vers les cieux.
Les longs applaudissements sont tellement enthousiastes, qu’ils interrompent le temps de silence habité et méditatif installé par le chef, refermant un peu plus tôt ce triptyque qui se prolongera néanmoins dans les mémoires et le souvenir des sourires partagés, entre interprètes et spectateurs.
Bach et la Vie du Christ par Pichon et Pygmalion à Bordeaux en trois temps, trois vidéos intégrales et trois comptes-rendus Ôlyrix :
1. Nativité 2. Passion 3. Résurrection-Ascension