Speranza Scappucci dirige Le Villi de Puccini à La Halle aux Grains de Toulouse
Premier ouvrage lyrique d’un Giacomo Puccini encore inconnu, l'opéra-ballet Le Villi fut composé dans le cadre d’un concours organisé par la maison d’édition italienne nouvellement créée par Edoardo Sonzogno par ailleurs directeur du Teatro Lirico de Milan. Il s’agissait de révéler de nouveaux talents par l’écriture d’un opéra en un acte. Le candidat Puccini put s’appuyer sur un livret rédigé par un jeune écrivain et journaliste germanophile, Ferdinando Fontana, inspiré de la légende des Villi (Fées). Livré en décembre 1883, l’ouvrage ne fut pas récompensé, mais attira l’attention d’un autre éditeur majeur, Giulio Ricordi qui demanda au compositeur d’étendre le projet à deux actes. C’est sous cette forme aboutie que l’ouvrage fut créé avec un vif succès au Teatro Regio de Turin le 26 décembre 1884, aboutissant à une commande pour La Scala de Milan, Edgar toujours sur un livret de Ferdinando Fontana, inspiré de Musset.
Le livret de Le Villi est simple et l’action se déroule dans un petit village de la Forêt Noire. Les fiançailles de Roberto et de la ravissante Anna, fille de Guglielmo, sont célébrées en présence de tout le village. Le jeune homme qui doit partir en voyage à Mayence pour recevoir un héritage jure fidélité éternelle à sa future épouse. Las, il succombe dans l’intervalle aux charmes d’une courtisane. Anna l’apprenant se meurt de chagrin. Tandis que Guglielmo ne pense qu’à la vengeance, Roberto repentant revient au village. Il voit alors surgir le fantôme d’Anna devenue une Villi, une de ces créatures qui se vengent de leurs fiancés infidèles en les faisant danser jusqu’à ce qu’ils tombent morts d’épuisement. Roberto n’échappera pas à ce triste destin.
Cet ouvrage d’une durée d’une heure quinze minutes environ sous cette forme, porte assurément en germe les qualités dramatiques et expressives qui feront le futur succès planétaire du compositeur. Les influences verdiennes se font encore sentir dans les parties réservées au chœur notamment dans les interventions des Willis, mais déjà se dégagent les singularités propres à Puccini. Les lamentations bouleversantes de Guglielmo suivies par la grande scène de Roberto de l’acte 2, vaste récitatif passionné suivi d’une romance où le jeune homme maudit la fatale courtisane qui l’a perdu, brusquement interrompu par l’entrée du fantôme vengeur d’Anna, portent durablement leurs fruits. De même, l’air d’entrée d’Anna au 1er acte, “Se come voi piccina io fossi... Non ti scordar di me!” (immortalisé au disque par Renata Scotto dans l’intégrale de l’ouvrage gravée en 1979 avec Placido Domingo et Leo Nucci sous la baguette de Lorin Maazel), dégage un lyrisme intense qui annonce sans conteste les airs de Manon Lescaut (1893). Le Villi n’apparaît certes pas comme un ouvrage majeur de Puccini, mais la passion qui l’habite avec son traitement orchestral et vocal développé apparaissent particulièrement attachants, vivants.
Encore auréolée par ses débuts récents au pupitre de La Scala de Milan, Speranza Scappucci s’empare avec énergie et une volonté farouche de cette partition qui recèle de parties symphoniques importantes. Placée à la tête de l’Orchestre national du Capitole et du Chœur -impeccablement préparé par Patrick Marie Aubert-, la cheffe italienne déploie le feu sous la braise, soucieuse de chaque pupitre (notamment les cuivres forts sollicités) et portant une attention permanente aux chanteurs. Il s’ensuit une représentation visiblement fort stimulante pour l’auditoire, au plan orchestral, mais aussi vocal.
Joyce El-Khoury, dans une superbe robe longue chamarrée au 1er acte puis bleu-nuit au second, montre le ravissant caractère du rôle d’Anna. Le timbre soyeux enveloppe toute la tessiture de cette voix sensuelle de soprano, pleine et soucieuse de plaire. Dans l’enceinte importante de la Halle aux Grains, la beauté de ses piani et de ses sons filés échappe toutefois un peu à l’oreille, mais sans trop accentuer au plan vocal le côté réaliste du personnage, elle séduit plutôt par la grâce de son jeu et par la justesse de l’expression.
À ses côtés, le ténor (encore relativement peu connu en France, hormis à l'Opéra de Nice) Luciano Ganci contribue en Roberto à la belle re-découverte de la soirée. Cette voix très italienne de timbre, radieuse et aux aigus pleinement projetés, s’appuie sur un legato maîtrisé et un sens musical certain. Il fait vivre son personnage avec acuité.
Alexandre Duhamel retrouve avec Guglielmo le plaisir d’un rôle du répertoire italien. Sa voix aux accents virils se déploie avec une pleine efficacité et se pare de couleurs plus profondes, plus ardentes. L’aigu se libère aussi avec facilité et pugnacité.
Afin d’animer un peu cette version concertante, Marie Lambert-Le Bihan a élaboré une mise en espace bienvenue et dynamique, portée avec conviction par les interprètes en présence. Le public venu très nombreux emplir la Halle aux Grains salue sans réserve cet opus de Puccini qui, pour la plupart des spectateurs, constituait une découverte assez éloignée des Tosca et Butterfly coutumiers.