I was looking at the ceiling and then I saw the sky à l’Athénée
Ce n’est pas la première fois que le compositeur américain John Adams s’inspire d’un fait contemporain pour inviter ses auditeurs à une réflexion autour de références communes et, peut-être, participer au mieux vivre ensemble malgré les différences. Après notamment deux œuvres lyriques d’envergure et traitant de sujets internationaux, John Adams, toujours en complicité avec le metteur en scène Peter Sellars, souhaita traiter des conflits raciaux et sociaux aux États-Unis. Pour cela, la librettiste June Jordan utilise comme matériau les témoignages de victimes du tremblement de terre destructeur à Los Angeles en 1994, dont l’épicentre ravagea une partie de la ville souffrant déjà de misère sociale. Par-delà les problématiques de ces individus, ce sont surtout leurs histoires d’amour que les artistes américains veulent évoquer. Par ces histoires qui parlent à chacun et par le style volontairement plus proche de la comédie musicale pop-rock, John Adams vise à toucher un public plus large et notamment une société -américaine ou autre- déchirée par des différences aux apparences inconciliables.
Justement, la compagnie belge Khroma, constituée autour de Marianne Pousseur et Enrico Bagnoli (signant cette mise en scène), s'appuie sur ces deux caractéristiques que sont le minimalisme et le néo-romantisme mais qui semblent ici bien plus inspirer un traitement psychologique (voire symbolique) qu'esthétique et théâtral des sept personnages.
Les décors consistent en des maquettes dont les détails, filmés en direct, deviennent scénographie projetée. Outre quelques incrustations vidéo, des actions sont parfois effectuées à la main sur ces décors pour créer des effets sur l’écran, comme des gouttes d’eau sur un tissu ou un haut-parleur par lequel les fréquences basses font trembler quelques minuscules accessoires pour illustrer la catastrophe. Le tout peut aussi compter sur les lumières et leurs couleurs afin de mettre en valeur certaines ambiances et personnages.

Dans cette scénographie minimale, les jeunes chanteurs, issus de la classe de chant du Conservatoire de Bruxelles, doivent faire preuve de leurs talents scéniques autant que vocaux. Consuelo, mère salvadorienne sans papiers, est interprétée par la soprano Maria Belen Fos. Paraissant d’abord un peu timide, elle gagne au fur et à mesure en confiance et donc en présence, partageant ainsi ses chants d’une voix délicate et innocente, presque touchante dans le partage de son rêve, et surtout via sa diction très soignée. Sa collègue Natalie Oswald, qui prête sa voix à Leila, conseillère dans une clinique d’avortement, construit sa touchante prestation sur son air Alone. Tout à fait à l’aise scéniquement, par son timbre fin et peu timbré, elle reste présente sans s’imposer, s’exprimant avec la simplicité que requiert son personnage sensible. Son frère et amant de Consuelo, le gangster repenti Dewain, est incarné avec investissement et caractère par le baryton Lionel Couchard. D’un timbre noble et aisé, aidé par un vibrato large et expressif, il projette ses chants avec maîtrise et nuances, notamment son convaincant I am the way I will be free.
Bien que repenti, il n’en reste pas moins arrêté et violenté par le policier Mike, interprété par le baryton Lucas Bedecarrax. L'accent francophone qu'il conserve participe en un sens à l'étrangeté de son personnage, bien que davantage de clarté aurait certes aidé la compréhension de son texte. Il ne manque néanmoins pas de jeu, dans son timbre plein ou quasi parlé. Refoulant son homosexualité, il ne peut répondre aux avances de la séduisante journaliste Tiffany, jouée par la mezzo-soprano Sonia Shéridan Jaquelin. Sa présence et sa voix suaves lui permet d’offrir le solo How far can I go avec une sensibilité convaincue, ne manquant qu’un peu plus de largeur pour charmer l’ensemble de son auditoire. Marie Juliette Ghazarian est l’avocate d’origine vietnamienne Rickie, présente, sans imposer de gestuelle superflue, notamment grâce à son timbre rond, à ses phrasés souples et ses passages de registres aussi faciles qu’ils sont nombreux. C’est également ce qui impressionne dans le chant du pasteur (supposé noir) David, interprété par Marc Fournier, qui doit parfois utiliser avec intensité sa voix de tête. Cette sollicitation de la voix, brillante et semblant parfois extrême, illustre très bien le tragique et la perte de repère qui peuvent suivre immédiatement le tremblement de terre.

Philippe Gérard, accompagnateur de la classe de chant au Conservatoire de Bruxelles, dirige l’ensemble avec une extrême attention, vivement nécessaire pour l’exécution de cette musique précise et exigeante malgré les apparences. Des moments de léger décalage entraînent parfois quelques craintes mais l’attention des huit musiciens reste constante et les corrections se font immédiates, proposant ainsi un accompagnement globalement sûr au plateau vocal. L’équilibre des instruments électriques (sonorisés), fait parfois paraître les chanteurs faibles dans leur projection, surtout au début de la soirée et dans les ensembles. Heureusement, les instruments se montrent davantage discrets lors des solos, offrant un tapis sonore des plus agréables.

La tragédie aura permis de rapprocher ces sept personnalités si différentes. A l’image de ce témoignage éponyme : « Je regardais le plafond, et puis j’ai vu le ciel », ces individualités, pensant regarder un présent couvert et sans issue, y ont vu un futur ouvert et sans fin. Si le public n’a peut-être pas pu saisir ce soir toute l’essence de l’œuvre de John Adams, il n’hésite pas à applaudir chaudement la jeunesse et les talents ainsi découverts.
