Gala Mozartien à l’Académie de l’Opéra de Paris
Chaque année l’Opéra Garnier accueille le Gala de l’Académie maison, permettant au public de découvrir de jeunes talents et à ces artistes d’être mis en situation professionnelle. Accompagnés avec professionnalisme par l’Orchestre de l’Opéra de Paris, les chanteurs de la promotion se produisent ici dans des scènes extraites d’opéras de Mozart (en langue originale dans le texte bien entendu : Mitridate Re di Ponto, Idomeneo Re di Creta, Cosi fan tutte, Le Nozze di Figaro, Zaide, Die Zauberflöte et Don Giovanni), répertoire exigeant quant à la tenue des phrasés et quant à la précision du style (ne souffrant aucune double croche de décalage). La mise en espace de Victoria Sitjà permet aux artistes d’incarner les différents personnages et d’animer les situations dramatiques des œuvres, tous ne présentant pas la même assurance mais étant cependant convaincus dans leur engagement. Les chanteurs ne disposent toutefois que de l’avant scène car, même si l’orchestre est en fosse, le rideau de Garnier demeure fermé (probablement pour ne pas dévoiler le dispositif scénique de la nouvelle production des Noces de Figaro dont la première a lieu le lendemain et pour soutenir la projection vocale). Ce gala a toutefois l'aura d'un rendez-vous attendu et les chanteurs (malgré plusieurs changements, de solistes et de programme) sont accueillis par une salle emplie d'un public bienveillant et encourageant.
La soprano Kseniia Proshina enchante l'auditoire dans "Ruhe sanft" extrait de Zaïde tant son chant colle à ses propos : « Repose paisiblement mon tendre amour ». Dans un calme empreint de délicatesse, elle cisèle le phrasé de sa voix fine et exécute souplement les mélismes avec le hautbois. Sans effort apparent l’aigu est atteint sur un souffle. Elle semble cependant un peu sur la retenue lorsqu’elle interprète le duo des Nozze di Figaro, et peut-être dans un souci de juste synchronisation avec l’orchestre, son regard se dirige souvent vers le chef au détriment d’un jeu scénique plus libéré.
Martina Russomanno (soprano également) tient en haleine dans le long récit du premier air d’Ilia extrait d’Idomeneo. Chaque son et chaque mot sont investis, exprimant les émotions contrastées du personnage (son amour pour Idamante, du camp ennemi). Sa puissance vocale lui permet une projection dramatique saisissante (« Un Greco! »), qu’elle quitte instantanément pour des piani éloquents, dévoilant son intimité amoureuse (« adorerò »). Elle participe au trio de Cosi fan tutte ("Soave sia il vento") et fait montre d’un sostenuto assuré aux côtés de la mezzo-soprano Lise Nougier.
Cette dernière interprète "Batti, batti, o bel Masetto" avec assurance, assumant sans effort apparent l’endurance que nécessite cet air. Elle délivre le texte clairement et les vocalises sont balayées avec souplesse. Son timbre très riche en harmoniques lui assure une présence dans tous les ensembles. La qualité de sa prestation fait vite oublier le raté d’un départ intempestif dans le célèbre duo "Là ci darem la mano" (Don Giovanni toujours) qu’elle interprète avec Yiorgo Ioannou. Le baryton se remet également très vite de cet incident et, preuve du métier déjà bien engagé, il interprète brillamment le rôle de Don Giovanni dans la scène finale de l’opéra. La clarté de la voix due à l’ouverture des voyelles favorise le caractère sarcastique du personnage, la noirceur venant avec la projection et l’appui des consonnes. À l’intensité de l’expression vocale s’ajoute une aisance scénique très adaptée et appréciée.
Le contre-ténor Fernando Escalona se positionne face au chef et, dans une accroche directe au public, interprète l’air menaçant de Farnace extrait de Mitridate. Il prédit la vengeance d’une voix lyrique et vibrante, sa projection emplissant le volume de la salle. Sa voix s’incorpore sans faille, favorisant le passage dans les différents registres. Il use habilement de la voix de poitrine afin de préserver une présence sur les notes graves et termine son air sur un aigu brillant et projeté recevant l’approbation du public.
Le ténor Kiup Lee possède la voix idoine pour le répertoire mozartien. Son accroche solide lui permet un phrasé précis aussi bien dans le grave que dans l’aigu et sa présence scénique est énergique et habitée. N’intervenant que dans les ensembles, sa voix se marie pleinement à celle de ses différents partenaires.
Le baryton Alexander Ivanov offre une prestation juste et impliquée de sa voix rayonnante et précise. Si sa présence scénique en Guglielmo dans le trio de Cosi fan tutte gagnerait à s’épanouir, sa voix se marie cependant à celle de son comparse ténor.
Le baryton-basse Niall Anderson est très sollicité pour ce gala car, en plus de ses interventions prévues au programme, il assume le remplacement du chanteur malade, dans le duo et l’air de Figaro. Il est le seul chanteur à se présenter masqué lors de toutes ses interventions (même lorsqu’il chante en solo) et, si la voix ne semble pas en pâtir, son jeu théâtral est entaché de gestes parasites visant à repositionner son masque qui ne cesse de descendre vers le menton (rappelant la difficulté des chanteurs à se produire masqués). Tour à tour Don Alfonso, Figaro ou Leporello, sa voix est rayonnante et richement expressive. Il parvient également à faire sourire en serviteur apeuré lors du finale de Don Giovanni.
Aaron Pendleton dispose d'une voix de basse étonnante de richesse harmonique. Il possède toutes les notes de Sarastro mais peine cependant à rendre la sérénité de l’air, en raison du tempo allant et d'un souffle quelque peu contraint. Il n'en impressionne pas moins en commandeur lorsqu’il apparait dans une loge de côté et projette son chant dans une posture monolithique (toutefois, l'incarnation est à ce point habitée qu'elle engendre quelques sons poussés).
Ces jeunes chanteurs peuvent s’appuyer sur la présence vigilante du chef Vello Pähn qui n’a de cesse de régler l’intensité de l’orchestre ainsi que la synchronisation avec le plateau. Trois jeunes instrumentistes issus de l’Académie se mêlent à l’ensemble, la prestation de Carlos Sanchis Aguirre au clavecin étant notamment remarquée lors des récitatifs précédant les airs.
Cette nouvelle promotion aux couleurs internationales (neuf chanteurs, huit nationalités) recueille avec bonheur l’acclamation du public. Les artistes viennent saluer groupés en prenant garde à respecter l’ordre des couleurs des robes des trois chanteuses (bleu, blanc, rouge), rendant ainsi hommage à leur pays d’accueil artistique qui leur offrira prochainement une production lyrique : Il Nerone/L’Incoronazione di Poppea au Théâtre de l’Athénée.