De l’Andalousie à l’Argentine, L’Instant Lyrique de Béatrice Uria-Monzon Salle Gaveau
¡Olé! Tel est le mot de la soirée. La salle n’est pas comble et pourtant, le sentiment est là, vif et puissant comme ces chansons d’Espagne : émotion exacerbée du public, émotion des paroles, émotion des interprètes et de la musique, dès les premiers morceaux de Federico Garcia Lorca qui ouvrent le concert. La suite sera consacrée aux compositeurs espagnols Enrique Granados, Fernando Obradors, mais aussi aux argentins Carlos Guastavino et Alberto Ginastera, ou encore aux Cinco Canciones Negras du catalan Xavier Montsalvatge, chantées pour le bis.
C’est sous le soleil brûlant des montagnes andalouses que commence le récital : paraît seul Antoine Palloc, qui entame les premières notes de l’Anda jaleo de Federico García Lorca, non seulement poète mais aussi compositeur. Surgit alors Béatrice Uria-Monzon, élégante dans son simple haut noir, son chignon tiré en arrière à la manière d’une andalouse et sa longue falda mauve à pois blancs. Puissante, elle entame aussitôt, d’une voix mûre et agile, les paroles de la chanson, une jambe posée sur le siège du pianiste.
C’est d’ailleurs la complicité entre les deux artistes qui frappe d’abord, tous deux attentifs l’un à l’autre. Le jeu d’Antoine Palloc qui entre sur scène avec un sourire tranquille, souple, vif et imagé, se teinte de ses couleurs sans être ostentatoire. Il a même la part belle dans la Dedicatoria de Turina, où il emmène la salle dans la mélodie légère et touchante ouvrant les Poemas en forma de canciones du compositeur sévillan.
Béatrice Uria-Monzon quant à elle, déploie un chant vivant et généreux, doté d’une ample projection particulièrement appréciée dans ce répertoire. Son jeu tour à tour ardent, intrépide, orgueilleux, mais aussi gai et tendre passe même d’amante à mère dans la berceuse Encantamiento de Gustavino. Après le caractère vif, elle poursuit le récital avec la mélancolie de Lorca, où elle déploie les accents de la nostalgie dans la description du Paradis perdu. Turina retrouve la fougue précédente, par une voix large, aux graves sombres mâtinés d’aigus colorés. Elle achève les Cantares dans une envolée qui appelle le premier tonnerre d’applaudissements d’un public désormais transporté, d’un public qui en redemande.
Éclat, violence, nostalgie, mais aussi gaieté, par un pimenté Torroba ou encore les deux autres morceaux de Granados (El majo discreto et El majo timido rappelant le diptyque La maja vestida / La maja desnuda du peintre Goya). Et surtout, la Habanera et la Séguédille de Carmen, qui achèvent le concert avant le bis : dès les premières notes, un nouveau mouvement joyeux traverse un public déjà conquis et la cantatrice manque elle-même d’éclater de rire. Ici cependant, le chant est plus retenu, parfois sec, même si dans les grands moments, se retrouve l’amplitude déployée précédemment -et c’est sous une formidable ovation que les deux artistes saluent. Parmi les applaudissements, nombre de spectateurs martèlent des « ¡Olé! » lancés du fond du cœur.
Dans ce tonnerre d’exclamations, les spectateurs réclament le bis et Béatrice Uria-Monzon, amusée, se targue d’un « On ne se fait pas trop prier, vous savez ! », avant d’entamer El vito d’Obradors, déchaîné. Mais renaissent aussi le calme, la candeur et la langueur de la Canción de cuna para dormir a un negrito des Cinco Canciones Negras de Montsalvatge. Le public éclate à nouveau en applaudissements et deux spectateurs se dirigent même vers la scène pour faire directement dédicacer leurs programmes.
La joie est à son comble, pour les artistes et pour le public transporté dans ce voyage au cœur des terres brûlées de l’Andalousie, à la pampa argentine et aux rivages antillais.