Le Corsaire de Verdi avec vue sur la mer à l'Opéra de Monte-Carlo
La maison lyrique monégasque est ainsi dans son élément avec cet opus, d'autant qu'elle continue ainsi de proposer des opéras injustement négligés (comme de récente mémoire et aussi de Verdi, Les Lombards à la première croisade, Luisa Miller et Les Brigands, et comme dans l'ambiance maritime Le Pirate de Bellini).

La distribution est composée d'habitués de Verdi et des lieux, incarnant d'autant plus leur personnage dans cette version de concert qui a son installation cérémonieuse des choristes, sur trois rangées, séparés de l’orchestre par de fines parois de plexiglas, les pupitres féminins arborant une longue étole couleur de bois blond.

Le ténor Giorgio Berrugi compose l'italianité du Corrado, capitaine des Corsaires. Il restitue moins le caractère tragico-romantique du héros byronien que la maturité d’un homme de principe et de droiture. Dès les sommets a cappella de son air d’entrée, il installe l'étendue de son timbre latin aussi déployé qu'il est impliqué dans son rôle. Ses moments de véhémence (appel à la croisade) sont amortis par une ample gorge palliant la tension légèrement crissante de ses aigus. Le ténor doit venir les chercher avec un grand soutien, un appui qui rend sa diction d'autant plus ample et charnue.

Medora, amante de Corrado, est incarnée par la soprano Irina Lungu. En robe de tulle rose, elle tient ce rôle délicat de pythie et ses noires visions de l’avenir, enveloppées d’un timbre poignant. Ses vocalises voilées la portent à travers toute la tessiture et notamment vers des aigus aériens et légers. La conduite de sa ligne de chant est patinée par son souffle, amidonnée par sa diction soignée et nourrie d’une palette de vibratos avec quelques trilles incandescents.

Le baryton polonais Artur Ruciński est un Seid, pacha de Corone, convaincu et qui ne fait qu’une bouchée de sa partie, même si le chanteur ne s’éloigne pas trop de sa partition. Il brosse le caractère de son personnage à grands traits, et notamment la jalousie par un timbre luisant d’une noirceur de marbre. La voix est longue et ample, grâce à un soutien et une projection sans faille.

Gulnàra, l’esclave favorite de Seid, est confiée à la soprano palermitaine Roberta Mantegna, illuminant le plateau de lapis lazuli et visant directement l'émotion. La puissance et l’aisance vocale appuient un timbre tour à tour de velours et de métal, puis le souffle d’une mélopée tendre et poétique avec d’amples vocalises clairement structurées, aussi bien dans les ascensions que les descentes.

La basse In-Sung Sim incarne son rôle de Giovanni le pirate, avec l’aplomb de son timbre d’ébène sommairement sculpté, à l’aide d’un soutien sans faille. Aga Selimo, guerrier de Seid, est campé par le ténor italien Maurizio Pace, aux interventions à la lisière d’un parlé-chanté vif et nerveux, aiguisé avec précision.

L’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo est placé sous la direction enthousiaste de Massimo Zanetti, Directeur musical d’une grande phalange sud-coréenne (Gyeonggi), qui a déjà dirigé in loco une autre rareté byronienne : I due foscari. Sa conduite est rutilante et colorée, dosant le grondement militaire qui sous-tend un tissu orchestral parfois épais, pour maintenir l’équilibre entre les pupitres et les voix. Les longs solos nostalgiques (clarinette, hautbois, alto, violoncelle) accomplissent leurs échappées.

Le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, préparé par Stefano Visconti, remplit son rôle Verdien d’incarner un personnage collectif avec des états émotionnels expressifs. La sonorité est profonde, la diction claire, amplifiant d'autant l'ampleur et la densité de l'action. De leurs rangs surgissent deux rôles courts, l’eunuque par le ténor Lorenzo Caltagirone et l’esclave par le ténor Domenico Capuccio, accomplis avec fulgurance et métier.
Le public applaudit très chaleureusement ce concert et ce Corsaire composé par Verdi dans ses "années de galère" entrant ici au répertoire.